Restriction
5.6
Restriction

Album de Archive (2015)

Etonnante entrée en matière; un trio batterie/basse/guitare à l’allure incertaine, saccadée mais rythmée, un peu comme un vieux Rock N Roll. Puis perce soudain la voix agonisante de Dave Pen, fondu d’un clavier, tout s’arrête, Dave gueule « Feel It ! », la chanson repart. Vous avez rarement entendu Archive dans cet état ; le riff qui suit pourrait être du punk, volontairement mixé en retrait, presque pas de basse, il s’agit de ne pas le rendre trop percutant. Le collectif veut faire un rock rythmé et enjoué mais Archive reste Archive ; l’empreinte de son propre style s’appose logiquement et ce, de façon naturelle, pour un morceau déroutant mais plutôt réussi.

D‘album en album le groupe s’inscrit dans une dynamique plus ou moins novatrice, comme pourrait en témoigner l’éponyme ‘Restrictions’, donnant plutôt dans le World Jazz. Néanmoins, Archive ne prétend pas changer son monde et en plus de son immuable patte artistique, récupère certains tics de composition : Couplet salvateur (‘Feel It’ - 2 :18), réutilisations de sons de synthétiseurs (Restrictions – 2 : 25), ascension progressive de l’intensité, ... Les auto citations, volontaires ou non, ne sont pas en reste : Rythmique introductive de ‘Ride in Squares’ assez proche de celle de ‘Interlace’ (With us Until You’re Dead), Introduction vocale de ‘Third Quarter Storm’ très similaire à ‘Conscience’ (Sur l’album Noise).

Certain qu’il s’agit bel et bien d’un album Archive 100% pur jus de carotte, une comparaison s’impose alors. Et à ce titre, je ne peux m’empêcher de le rapprocher à Part IV, principalement au vu de ce qu’il représente musicalement vis à vis de son ainé (With us Until You’re Dead pour Restrictions (Axiom étant à part) et Controlling Crowds pour Part IV); un petit frère essoufflé,qui ne parvient à réitérer son exploit tout en s’en servant de modèle.

Disons le, si l’on ne peut en aucun cas affirmer que l’album soit mauvais, ‘Kid Corner’ et ‘Black and Blue’ faisant office d’uniques réelles contre performances, on ne peut pas dire qu’il fasse figure d’indispensable. Prenons l’exemple représentatif des parties vocales, l’une des innombrables marques de fabrique du collectif. Celles-ci montrent vite leur limite et seules celles de ‘Third Quarter Storm’ et ‘Half Built Houses’ dans une moindre mesure, restent mémorables tandis que les couplets et refrains de ‘End of Our Days’ et ‘Ride in Squares’, par exemple, paraissent tout juste sympathiques. Quelques singularités apparaissent néanmoins, comme sur ‘Crushed’ avec la judicieuse reprise du « You », écho direct au « It’s You » accusateur de ‘Ruination’, les « Ouhouhouhou » accompagnant la voix, cette fois pleine d’assurance, de Dave Pen dans le bon ‘Ride In Squares’, même manœuvre avec le viscérale « Hinhinhin » et les « Lalala » libérateurs de ‘Greater Goodbye’, l’un des meilleurs morceaux de l’album.

L’un des aspects les plus respectables de With us Until You’re Dead était l’intelligence apportée aux rythmiques ; difficile de ne pas être emporté par la résonance de ‘Twisting’ ou le mitraillage de fût sur ‘Conflict’. Les percussions faisaient au bas mot le quart du boulot, et c’était beau. Sur Restrictions, la batterie se retrouve dépouillée de ce feeling; l’on ressent alors un manque certain d’efficacité dans les rythmes, largement moins percutants, peut être même mis à l’écart par le mixage. Gardons tout de même en tête le soin apporté aux rythmiques qui se sortent facilement du bourbier du recyclage. Malheureusement pour elles, il ne suffit pas d’innover pour être pertinentes et efficientes, seules celles de ‘Ride in Squares’ et éventuellement ‘Crushed’ peuvent éventuellement tirer la couette vers elles à ce niveau.

Parmi les éléments qui font de la musique d’Archive un art à la fois déterminé et unique, on remarque la conservation d’un goût prononcé pour la répétition (‘Restriction’ et sa boucle dans les paroles), pour les transitions très bien gérées qui refusent à l’album une simple respiration (A peu près tous les morceaux), pour les sons crades de la batterie électronique (‘Ride in Squares’), pour les chants syncopés sans grande nuance tonale (‘Crushed’ et ses paroles posées avec puissance et rage) et pour la progression musicale, vers toujours plus d’intensité (Toujours ‘Crushed’ qui sera à n’en pas douter un régal en concert)

On constate néanmoins, avec une certaine tristesse, l’absence de plusieurs morceaux phares ; de ceux qui marquent par n’importe quel moyen, de ceux qui envoutent et perturbent, de ceux dont la magnificence et la grandeur n’ont d’égal chez n’importe quels autres musiciens. On dénote aussi un certain déséquilibre entre morceaux calmes et ceux plus costauds, les premiers ayant tendance à se montrer assez peu captivant, presque vains dans leur démarche. Exception faite du sublime et déchirant ‘Third Quarter Storm’, meilleur morceau de l’album où les voix s’entremêlent, minutieusement déposées sur chaque note de piano, mettant mes nerfs à bout sur « Don’t know ». Mention spéciale au pont instrumental, mené par les synthétiseurs, qui, dans un aller retour viscéral, grave et agressif, atteint un niveau d’intensité inouï pour retomber soudain sur le réconfort du couplet, accompagné cette fois d’une légère batterie, appuyée par la cymbale.

Restrictions n’est pas inspiré et, sans être insipide, porte souvent la marque de ces albums que l’on écoute de façon distraite, dont les morceaux semblent délébiles, oubliables au profit d’autres pièces de la même formation. Car Restrictions n’est pas un mauvais album, il est même très appréciable relativement aux sorties récentes, l’année 2014 ayant été assez pauvre musicalement, mais confrontée à une discographie hors norme, il s’agit là d’un album d’Archive assez insignifiant. A l’image du morceau de clôture, ‘Ladders’, Restriction épie ses pairs avec envie, captant l’apparence musicale mais négligeant quelque chose d’essentiel.
Poulika
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le 23 janv. 2015

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Poulika

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