Rid of Me
7.4
Rid of Me

Album de PJ Harvey (1993)

Je me souviens de cette rediffusion d’une émission spécialisée dans le rock sur M6 (impossible de vous sortir le moindre nom par contre). Un numéro spécial rock féminin, centré plus particulièrement sur la vague riot grrrl. Soit une bande de gonzesses jouant une espèce de punk alternatif parfois proche du hard rock voire du heavy metal… Du grunge fait par des filles ? On peut dire ça. Entre les extraits de concerts où on pouvait y admirer des furies mettre un souk pas possible sur scène, nous avions droit à une interview de PJ Harvey, alors en plein dans sa période rock énervé… Le rapprochement entre cette scène Américaine et la brune Anglaise semblait évident en apparence. Alors qu’il est, en vérité, à côté de la plaque.


Là où les gueuzes de Babes in Toyland flirtent avec le grotesque en surjouant au maximum et pendant que les L7 rêvent de remplir des stades avec leur heavy metal bas de plafond, PJ se fait plus réfléchie, naturelle et surtout pertinente. Les Américains sont des gros prolos comparés aux Anglais. Cela peut être leur force comme leur plus grande faiblesse. Ici en l’occurrence, la comparaison fait un peu mal. Car la grande qualité de Polly, c’est d’avoir su conserver sa sensibilité féminine malgré une rage rock & roll pourtant typiquement masculine. Le meilleur des deux mondes donc.


Musicalement, Rid of Me s’inscrit bien dans ce renouveau du rock sale et bruyant du début des années 1990. Il en va de même pour sa pochette représentant ce que l’énergie rock peut avoir de plus magnifique visuellement parlant (et que je classe sans sourciller à côté de celle du Superfuzz Bigmuff de Mudhoney). De l’autre côté de l’Atlantique, on appellerait probablement cela du grunge. Mais ici, ça sera du rock alternatif car en dépit d’une esthétique noisy, il n’y aucune trace de hard rock.


Il y a toutefois la présence d’un fameux ricain : Steve Albini. Alias Monsieur Shellac/Big Black/Rapeman ou l’un des plus grands producteurs de tous les temps. Le bonhomme qui sait faire sonner les groupes qu’il produit tout en leur offrant un son en adéquation avec leur mentalité et leur musique (Nirvana pourrait en témoigner). Son parti pris particulier ne fera jamais l’unanimité (y compris chez la principale intéressée qui réenregistrera une version de cet album sans le geek à lunettes) et le morceau éponyme démontre ça. « Rid of Me » débute avec une longue introduction faite d’un gratouillis de guitares et de chuchotements presque inaudibles… Une éternité pour quelqu’un qui voulait un single efficace. Jusqu’à ce qu’un soubresaut de batterie emporte le titre dans une autre dimension et lui apporte une énergie aussi libératrice qu’insoupçonnée. On peut trouver ça étonnant ou gênant, il n’empêche, l’effet est là : c’est saisissant.


Si dans la forme, Rid of Me reste proche du formidable Dry, le fond n’est pas tout à fait le même. Ce second effort est terriblement torve et torturé. Polly a laissé des bouts de ses tripes dans cet album, c’est évident. Il est également parcouru d’une hystérie sexuelle qu’on ressent aussi bien dans la musique (la lourdeur de « Missed », la densité noisy de « Hook »), la voix (les hurlements de harpies de Popo sur « Legs » ou son étonnante bienveillance sur « Dry ») et évidemment, dans les paroles (le refrain de la chanson pré-cité est déjà bien explicite et il en va de même des textes de « Man-Size Sextet »). PJ a toujours des problèmes d’ordre intime et nous le fait savoir, ce qui rend son rock érotique sans être vulgaire. C’est d’autant plus peu évident avec le physique négligé qu’elle trimballait à cette période.


L’heure de l’éclectisme de To Bring You My Love et sa réinvention sur White Chalk n’est pas encore arrivée. Néanmoins, Rid of Me démontre déjà une capacité à se trouver sur divers plans. Que ce soit dans la violence punk de « 50ft Queenie », l’évidence mélodique de « Dry » qui ne ferait pas tâche sur une compilation britpop (alors que cette chanson n’est jamais devenue un single connu !) ou bien encore le blues noisy et lancinant de « Ecstasy ». PJ Harvey arrose de son charisme une génération entière en prouvant qu’on peut être une femme avec du caractère sans devenir un garçon manqué.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
8
Écrit par

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le 3 août 2015

Critique lue 533 fois

7 j'aime

Seijitsu

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