so sad so sexy
6.2
so sad so sexy

Album de Lykke Li (2018)

Il y a un an, la chanteuse suédoise Lykke Li nous révélait sa nouvelle métamorphose musicale avec son quatrième opus au titre très intriguant, so sad so sexy. Rien que le nom de cet album annonçait une couleur relativement différente de ce à quoi l’artiste nous avait généralement habitué, c’est-à-dire à une palette musicale sombre et des productions généralement assez épurées et très organiques, tout en gardant un aspect assez mélancolique qui est en quelques sortes sa marque de fabrique. Mais si effectivement ce “so sexy” est assez inattendu et annonce bien un nouveau chapitre dans la carrière de la Lykke Li, le “so sad” qui est là pour nous rappeler que malgré tout la chanteuse reste fidèle à son spleen et à elle-même tout en essayant de nouvelles choses, il est impossible de ne pas y voir une pointe d’humour.


Il y a un an, donc, est sorti ce nouveau disque de Lykke Li qui s’annonçait différent au vu de son titre mais aussi et surtout au vu de la liste des producteurs et auteurs-compositeurs qui avaient travaillé avec l’artiste suédoise pour créer cet opus. Si l’interprète de “No Rest For The Wicked” avait développé une certaine loyauté envers celui qui avait, à ce point, produit 90% de sa discographie, Björn Yttling - qui est, entre autre, bassiste du groupe Peter Björn and John et avait fondé en 2016 le groupe liv avec Lykke Li et Jeff Bhasker, projet avorté rapidement - et qu’elle invitait occasionnellement Rick Nowels et Greg Kurstin sur ses albums, sur so sad so sexy Lykke Li a travaillé avec un panel d’artistes et de producteurs assez incroyables. Incroyables, dans le sens où ce sont tous d’excellents musiciens et créateurs qui ont prouvé plus d’une fois leur versatilité et leur talent. Incroyables également parce que pour la plus grande partie d’entre eux, ce sont des faiseurs de tubes renommés avec qui je n’aurais imaginé que Lykke Li souhaite et surtout PUISSE travailler avec. Incroyable, parce qu’on passe d’une collaboration avec deux producteurs sur tout un album à une avec pas moins d’une bonne dizaine d’acolytes. Incroyables, enfin, car ces collaborations apparaissaient comme un véritable tournant dans la carrière de celle qui nous avait clamé sur son précédent album I never learn dans la douleur la plus palpable …


Au commande de ce so sad so sexy, nous retrouvons Malay, le producteur surdouée de Frank Ocean et ZAYN ; Rostam, l’ex-membre de Vampire Weekend ; T-Minus et DJ Dahi, deux des meilleurs producteurs de hip-hop du moment ; Ilsey Juber, qui écrit tube sur tube pour tout le gratin de la pop ; Skrillex, qu’on ne présente plus ; Kid Harpoon, fidèle collaborateur de Florence + The Machine et Jessie Ware ; Illangelo, à qui on doit en grande partie la carrière de The Weeknd ; Ali Payami, le “go-to” producteur d’Ariana Grande et Taylor Swift ; ainsi que les producteurs de pop indie Emile Haynie, Jeff Bhasker, Andrew Wyatt et le fidèle Rick Nowels. Autant dire que face à cette liste déjà on se dit que le label de la chanteuse a sérieusement fait péter le budget, mais plus sérieusement que tout est rassemblé pour que cet album offre de superbes productions ou bien, au contraire, soit un fiasco total.


Sur papier, so sad so sexy était un projet alléchant, excitant mais aussi extrêmement flippant. Si Lykke Li avait enregistré ses nouvelles chansons qu’avec des producteurs et des auteurs-compositeurs qui savent très bien s’adapter à l’artiste avec laquelle ils travaillent, n’était-il pas aussi probable pour la chanteuse de réussir à se ré-inventer en beauté et de nous offrir son magnum opus que de perdre complètement sa touche et son identité musicale au milieu de ce casting 5 étoiles ? Il y a un an donc, j’écoutais pour la première fois so sad so sexy un dimanche après-midi de juin, ayant fait très attention au préalable de ne pas écouter d’extraits pour m’assurer de ne pas gâcher la surprise de ce court album de dix pistes. Si la chanson d’ouverture, “hard rain”, m’apparaissait dès lors comme l’une des choses les plus belles, les plus étranges et les plus captivantes que Lykke Li ait faites et que “two nights” était un banger mélancolique parfait, le reste de l’album m’a peu convaincu. Réjouissances dans un premier temps : il n’y avait absolument rien de mauvais sur so sad so sexy et Lykke Li n’avait pas une seule seconde perdu sa touche dans cette influence de trap et de pop urbaine. Le problème, c’était que je n’étais pas surpris et que le feu d’artifice auditif que j’attendais n’avait pas eu lieu.


Mais me voici début juillet 2019 à écrire une critique sur ce que je considère être un des meilleurs albums de pop de ces cinq dernières années. Car oui, si je m’étais ennuyé dur la première fois que j’ai écouté ce so sad so sexy, j’ai quand même ressenti l’envie d’y retourner. Et à chaque rotation, cet album dévoilait quelque chose de nouveau …


Il y a tout d’abord un banger pop léger pour l’été, “sex money feelings die”, que l’on veut entonner à tue-tête grâce à son refrain euphorique (“Baby don’t you cry / Sex, money, feelings die / Pain is on my right / Sex, money, feelings, DIIIIIIIE”) et où Lykke Li ne chante plus de façon fragile et lente mais adopte un flow qui met en avant la confiance en soi que l’artiste éprouve. Rien qu’à travers ce titre court et incroyablement efficace, Lykke Li démontre qu’elle sait exactement comment utiliser et intégrer une influence de hip-hop contemporain à de la musique pop sans que cela paraisse forcé et un poil déroutant.


On y trouve ensuite deux chansons pop lumineuses et rêveuses, pour ne pas citer la chanteuse et dire “psychédélique”. La première, “jaguars in the air”, est probablement la chose la plus déroutante sur cet album car non seulement les paroles ne semblent pas avoir beaucoup de sens - et pourtant, après plusieurs écoutes, elles en prennent, ici Lykke Li mélange plusieurs flows qui se rencontrent, s’entrecoupent et créent un véritable patchwork vocal et mélodique assez étrange sur un fond de musique pop conventionnel mais parfaitement exécuté. La seconde, “utopia”, est une ballade qui vient clore l’album et qui, sans être incroyable, est la conclusion parfaite à ce so sad so sexy, peignant un portrait apaisé de l’interprète des douloureux “Never Gonna Love Again” ou “Gunshot”, se rappelant sa mère récemment décédée et de l’amour que celle-ci lui apportait mais choisissant regarder le futur et célébrant son rôle, à son tour, de mère et l’amour qu’elle ressent pour son fils.


Le quatrième album de Lykke Li comprend aussi des bangers mélancoliques, comme l’absolument parfait “two nights”, une collaboration à la fois complètement décalée et pourtant très logique avec Aminé, et “deep end”. Ces deux chansons, une nouvelle fois, infusent parfaitement une influence trap et de pop urbaine que toutes les Ariana Grande cherchent à inclure sur leurs singles à une composition morose. “two nights” est probablement la chanson qui représente le mieux le titre de l’opus. Malay, Skrillex, Jeff Bhasker et Jonny Coffer signent une production brumeuse et fiévreuse qui révèle petit à petit de nouveaux éléments qui rendent l’écoute captivante et où le beat est très subtile mais efficace, ajoutant un certain “punch” à une chanson qui aurait pu prendre la forme d’une ballade douloureuse autrement. Lykke Li utilise un flow sensuel et mélancolique - tiens, tiens ! - pour se languir de l’absence et de la possible infidélité de son compagnon. “I, I left all the lights on / I’ve been sleepin' with no clothes on / You never came home” chante l’artiste suédoise. Aminé joue le rôle du compagnon absent et infidèle, ajoutant une pointe d’humour (“Don't be sad, look alive Lykke / Damn right, she gon' dance on my damn Dickies”) à la chanson qui se veut à la fois douloureuse et étrangement accrocheuse et amusante. Juste avant, sur “deep end”, Lykke Li fait quelque chose de semblable, utilisant toutes sortes de métaphores en lien avec une piscine pour parler du manque d’affection et d’attention qu’elle ressent de la part de son compagnon. Encore une fois, c’est improbable mais ça fonctionne parfaitement !


Pour les plus sceptiques qui voient en ce quatrième opus un virage trop serré pour la chanteuse suédoise, le trio “so sad so sexy”, “better alone” et “bad woman” devrait vous convenir puisque c’est la chose la plus “traditionnellement Lykke” de ce disque. Sur la piste-titre et “better alone”, l’artiste renoue avec sa mélancolie pure sur des productions mid-tempo mais percutantes et des refrains qui pourraient facilement faire chanteur tout un stade, et sur “bad woman”, c’est sur une instrumentale plus épurée qu’elle chante des paroles pas dénuées d’un certain humour, preuve que Lykke Li semble vraiment s’amuser sur cet album.


Enfin, il y a “hard rain”, la piste d’ouverture qui est absolument grandiose et tellement étrange. La chanteuse y parle de la fin inévitable et très douloureuse d’une relation comme elle l’a souvent fait, mais ici la façon dont la chanson est construite et dont différentes mélodies s’entremêlent au point de parfois avoir l’impression d’écouter plusieurs morceaux en un est absolument nouveau pour la chanteuse et permet d’ouvrir parfaitement cet album en proposant quelque chose de surprenant mais quand même tout à fait à sa place dans la discographie de Lykke Li. “hard rain” est un morceau déstructuré qui représente parfaitement le tourment amoureux, chaque nouvelle partie et chaque ligne mélodique venant illustrer un sentiment complètement différent et parfois contradictoire que la chanteuse ressent vis-à-vis de cette histoire d’amour qui touche à sa fin. C’est de l’émotion pure que livre ici Lykke Li, comme elle l’avait fait auparavant, mais seulement cette fois-ci cette émotion est habillée d’une production méticuleuse signée Rostam. De ce point de vue, “hard rain” est une représentation parfaite de so sad sexy et du fait que Lykke Li a su ré-inventer complètement sa palette musicale tout en restant fidèle à elle-même et qui faisait d’elle une artiste à part.


Il m’aura donc fallu un an pour me rendre compte à quel point so sad so sexy est un album ingénieux et qu’il est bel et bien le feu d’artifice musical - ainsi qu’une tornade d’émotions en supplément - que j’attendais. C’est seulement que comme tous les albums de l'artiste suédoise, il nécessite plusieurs écoutes pour vraiment comprendre ce que la chanteuse a voulu exprimer, ainsi que saisir tous les petits détails qu’ont parsemés à travers le disque les producteurs afin de rendre l’écoute de celui-ci un peu plus captivante à chaque fois. Et ce n’est pas parce que Skrillex, Ali Payami et DJ Dahi parmi d’autres faiseurs de tubes ont produit ces chansons que so sad so sexy n’en reste pas moins et avant tout un album de Lykke Li. Ma seule recommandation si vous n’avez pas apprécié ce virage musical et de lui donner une seconde chance, et peut-être même une troisième et je vous promet que ce disque se révèlera vraiment à vous au fur et à mesure.


Score : 8.1/10
Key tracks : "hard rain", "two nights" et "sex money feelings die".

killyourdarlings
8

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Créée

le 7 juil. 2019

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Keith Morrison

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