Depeche Mode, chapitre 4 : « Some great reward » ou le premier coup d’éclat.

Dans l’épisode préc…ha? Quoi? C’est relou quand je commence mes articles avec cette formule rhétorique qui est inutile en plus puisque personne ou presque ne prend la peine de les lire et n’a besoin de savoir où en était le groupe sur le disque précédent? Les gens sont plus intéressés par Muse que Depeche Mode…sérieusement? Cool…ça me donne encore plus envie de continuer alors…j’ai une humanité à sauver! Bon très bien très bien je renonce pour le moment à ce genre de phrases…petite voix imaginaire et insolente qui justifie les présentes lignes inutiles de cette chronique! Pas de rappel ce coup-ci alors : disons de façon concise qu’en cette année 84 Depeche Mode a réussi à percer commercialement et à toucher un public un peu plus large. La raison de cette percée? Comment Depeche Mode est devenu en l’espace d’un album plus qu’un simple groupe de new wave prometteur mais un groupe important qu’il faut suivre? La raison c’est ce fameux album : « Some great reward » et deux de ses tubes qui deviendront des succès mondiaux et plus particulièrement aux states qui verront le groupe se hisser dans le haut des charts : « People are people » et « Master and servant ». Deux morceaux très différents dans leurs thèmes ou leurs qualités musicales mais qui ont un point commun : être deux grosses tueries musicales encore régulièrement diffusées à la radio de nos jours (merci à RTL2 qui reste une des rares chaînes encore potable à ce niveau-là d’ailleurs!).


Le premier : « People are people » est assez « rentre-dedans » sur les couplets où Dave scande un phrasé presque rappé, et assez « pop douillette » sur les refrains chantés par Martin. Ce morceau, (de même que tous les morceaux du disque) est plus que jamais caractérisé par la présence de bruits mécaniques (d’où le fait que le groupe tapait carrément sur des plaques en metal avec des espèces de matraque sur scène…oui l’innovation technique n’était pas encore à son maximum huhu). Verres qui se cassent, enclumes cognées, marteau-pilons…rien de mélodique en apparence et pourtant le groupe à grand renfort de synthés et d’enregistrements divers réussi à créer une texture foutrement originale et urbaine et avec sacré sens de la mélodie en prime! Car si les mélodies accrocheuses et mémorables (principale qualité du groupe quand on y réfléchit) étaient un peu rares jusqu’à présent elles se sont bizarrement mises à se réveiller et à se dire : « hum…illuminons l’album et ses 9 compos de notre présence, ces 4 rosbifs sympathiques l’ont bien mérité après ces 3 années de recherche et de dur labeur! ».


Thématiquement « People are people » est une sorte d’hymne à la tolérance…le groupe est donc plus que jamais dans sa phase socialo-politique. En gros ça donne quelque chose comme : « les gens sont ce qu’ils sont et ont donc des besoins différents, je ne comprend pas toute cette haine frère! » la plupart du temps, le « people are people » étant régulièrement scandé à la manière d’un hymne! Et sur les refrains : « je ne comprend pas ce qui fait qu’un autre homme puisse haïr un autre homme, aidez moi à comprendre », ce à quoi on a envie de lui suggérer de se retrouver confronté à un ou une sociopathe pour voir ce que ça donne… Bon, vous l’aurez compris le versant de la médaille est là : soit on est touché par ces sages paroles de bon sens, soit on trouve ça niais au possible et on se dit que décidément Depeche Mode a encore un long chemin à faire pour acquérir sa maturité musicale! Le peuple touché par l’universalisme des paroles ne trouvera rien à redire…en revanche le groupe lui-même (surtout Martin Gore puisqu’il est l’auteur des paroles) sera attristé d’avoir pondu un morceau pareil expliquant même que sa niaiserie lui vaut son reniement et son absence totale du répertoire scénique du groupe depuis cette époque là.


Passé ces considérations d’ordre plus ou moins « éthiques » il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître l’excellente musicalité de la chanson en revanche et son implacable mélodie. « Master and servant » par contre est résolument plus rock…le côté martial des rythmiques du groupe esquissé sur le disque précédent est plus que jamais d’actualité ici! Des chœurs suraigus (« it’s a lot, it’s a lot, it’s a lot…like life!!! ») laissent la place à un beat synthétique donnant envie de se péter les cervicales, et vient encore une fois se placer la mélodie implacable au milieu de ces bruits de chantiers…chargée d’accompagner la thématique du sado-masochisme… HEIN? Est-ce le même groupe qui donnait dans le politiquement correct juste avant? Oui…car c’est à cela que l’on reconnaît un bon texte : son équivocité car qu’est-ce qui est transfiguré ici si ce n’est les rapports de soumission et de domination que nous expérimentons au quotidien et plus encore dans une société (et ça c’est d’actualité) où certains candidats à la présidentielles s’imaginent encore que les heures de travail sont négociables avec son patron quand on est un petit ouvrier interchangeable? HEIN??? Bon je m’égare là…revenons à la musique!


Le reste du disque est dans la même veine…c’est-à-dire excellente! Du martiale et étrange « Something to do » dont le titre du morceau est scandé à la manière d’un slogan de façon fébrile en guise de refrain sous la forme de question…(c’est le genre de petit plus et d’audace qui fait qu’un groupe sort du lot généralement) jusqu’au petit chef d’oeuvre qui clôt l’album : « Blasphemous rumours » le disque enchaîne les perles! « Stories of old » et « If you want » peuvent paraître plus secondaires à la première écoute mais possèdent par leur subtilité mélodique et atmosphérique quelque chose d’attachant! « Lie to me » très synthétique tente le coup de la rythmique groovy et serpentine…pour la première fois Depeche Mode sonne sexuel…c’est même assez historique en fait! Quant-aux ballades chantées par Martin…elles sont enfin très réussies! « It doesn’t matter » sorte de ballade fiévreuse et chaude comme un chauffage électrique en plein hiver est sympatoche, mais « Somebody » reste assurément un des gros points fort du disque. Totalement épuré avec un simple piano et la voix de Martin la légende urbaine voudrait que ce dernier l’eu chanté à poil pour se mettre en… »condition » en tout cas ça coïnciderait avec l’impression de dénuement que le morceau fait passer c’est sûr m’enfin bon…(remarque si les chanteurs de variété française actuelle pouvaient-être enfermés à poil dans une cave pour enfin me faire passer un semblant d’émotion je ne m’y opposerait pas!).


« Blasphemous rumours » est presque une sorte de morceau « transitoire » à mes yeux… plus qu’un morceau de conclusion tant le morceau est sombre et dramatique par rapport au reste de l’album et anticipe à merveille l’album suivant : « Black celebration ». Les bruits métalliques couplés à des notes synthétiques (carrément « cristallines » entre deux refrains) sombres et envoûtantes créent une ambiance formidable…régulièrement interrompues par des refrains pop ultra accrocheurs mais conservant une bonne dose de cynisme qui ne dénature pas l’ensemble! Bref, c’est encore un tube malgré des paroles assez anti-religieuses qui feront tâche au vu de l’apport « spirituel » de certains thèmes bibliques magnifiquement exploités dans les (chef d’)œuvres à venir du groupe : Dieu passe pour un connard avec un sens de l’humour douteux qui décide de laisser mourir une pauvre petite chrétienne dans son lit d’hôpital et doit finir sa vie avec un appareil respiratoire d’où les « hhhhh » bizarres qui clôturent le disque.


En bref, « Some great reward » marque une évolution réelle pour le groupe : la production est enfin irréprochable (pour l’époque), les tubes sont nombreux (4 quand même!) et les autres morceaux sont pratiquement aussi géniaux, il n’y a plus de temps mort ou faible…Depeche Mode a trouvé une alchimie et une énergie convaincante avec sa nouvelle formation qui sera donc définitive (ou presque…). S’agit-il d’un chef d’oeuvre pour autant? Mmmh…pas vraiment, car bien que le disque soit parfait (sur le papier) et ne contienne aucune chanson moyenne, ni aucune fausse note, sa production même intelligente reste assez axée 80’s et aura toujours un peu du mal à séduire les allergiques de la new wave. De plus, le son compressé des machines fusionné aux synthés est intéressant mais n’est pas ce que le groupe aura réalisé de plus passionnant au cours de sa carrière…et puis nous l’avons vu, un côté légèrement encore naïf peut persister. C’est ce genre de petits détails qui font que cet album ne compte généralement pas dans les grandes œuvres du groupe pour certains fans (pas tous)…il reste néanmoins un disque réussi et attachant. « Some great reward » s’il n’est donc pas le premier chef d’oeuvre du groupe est incontestablement le premier excellent disque du groupe, et il aura ouvert la voie à une nouvelle aire où le groupe sera à plusieurs reprises une des figures les plus populaires de la pop des années 80… « Black celebration » 2 ans plus tard aura donc pour rôle de prouver que succès commercial ne rime pas pour autant avec compromis et fera progressivement entrer Depeche Mode dans l’âge « adulte ».

Venomesque
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le 25 nov. 2016

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