Un album créatif, fou, survitaminé et un album du coeur.

Sur trois ans j’ai construit mon identité musicale. En 2002 je découvrais Eminem avec Eminem Show, en 2005 c’était Late Registration de Kanye West mais entre eux, en 2003, ce fut cet album d’Outkast. Malgré l’intérêt que j’ai démontré par la suite pour découvrir de nombreux artistes rap, ce sont ces trois noms qui sont toujours revenus.


J’aime Outkast. J’aime tous les talents qu’ils rassemblent. Bons rappeurs, bon créateurs et bon musiciens. Chacun de leurs albums pourrait être titré de «classique». Chaque album a sa propre couleur. Leurs meilleurs pour moi sont ATLiens, Aquemini et celui-ci. Stankonia était un premier parti pris, bourré d’idée mais mélangeant parfois maladroitement les styles (à mon goût). Avec The Love Below/ Speakerboxxx, l’idée du double album trouve un intérêt. D’abord il y a la quantité ; deux albums, 39 titres en tout. Mais il y aussi la qualité puisque chaque membre se libère de la contrainte de fonctionner en duo. Certes on peut trouver cela étrange qu’un duo se sépare pour travailler dans de meilleures conditions mais dans ce cas là il s’agit plus d’une liberté qui permet à chacun de faire ce qui lui plait. Et ce qui plait à ces deux compères c’est d’étonner.


The Love Below


Andre 3000 avait toujours essayé d’introduire son style suave et féminin dans la production du groupe. Dans son projet quasi-solo il peut enfin laisser libre cours à sa créativité. Sur le thème de l’amour il réussit à tricoter une variété de sons qui renvoient chacun à une émotion liée à ce thème. Sur Love Hater il devient un véritable crooner jazzy, passant aisément du son chaud réconfortant au son bordélique et cela grâce aux percussions propres au jazz et parle des contradictions sentimentales qui habitent l’amour. Dans d’autres morceaux il distille des beats hip-hop efficacement, certains sont quasiment imperceptibles comme celui de Spread qui ne s’entend qu’au couplet rappé, et d’autres sont réellement jouissifs comme celui de Happy Valentine's Day. Ce morceau là est tout particulièrement énorme. Le rythme est régulièrement cassé, entre monologue, chant de chœur et rap. La prod est trempé dans une swagg attitude, varie sur une instrumentale riche de justesse. Entre sons psychés, basses hip-hop pour offrir un final plein de sarcasme « Fuck That Valentine’s Dayyyyy ». Les critiques auront retenu Hey Ya et Roses (qui sont deux singles parfaits, n’en doutons pas) mais l’album fourmille d’idées et offre des morceaux qui oscillent entre le délire artistique et le travail de pro. Du cri déchirant de She Lives in My Laps au son synthétisé de Dracula’s Wedding, Andre 3000 s’amuse avec les sons et avec les genres pour créer un album difficilement abordable mais ô combien unique.
( Mais bordel c’est quoi ce dernier titre ? A Life In A Day of Benjamin Andre ? Quelle est cette instru étrange ? On se croirait dans un film d’épouvante. Un dernier morceau qui m’étonnera toujours tout comme l’album entier.)
Andre 3000 offre tellement d’idées et y va tellement à fond que l’album s’écoute difficilement d’une traite et il sera préférable d’apprécier les morceaux séparément et surtout il faut avoir la patience de les écouter en entier car le rappeur explore des sons pas toujours faciles et qui mettent du temps à dévoiler leur richesse.


Speakerboxxx


Les critiques ont trop encensé les délires d’Andre 3000 pourtant ils peuvent être déstabilisants et parfois un peu pompeux si on arrive pas à rentrer dedans. Speakerboxxx répond à une autre promesse, il concentre également des délires créatifs mais fait toujours en sorte de leur donner des limites hip-hop. Personnellement c’est surtout grâce à cet album que j’ai pu apprécier la folie des Outkast. Big Boi se fait plaisir. Ses instrus sont complètement tarées mais toujours très bonnes. Son flow est énormissime, hypnotique, chantant. Le mec peut parler en rappant ou rapper en parlant. Chaque titres et doté d’une mélodie efficace. Bowtie est un morceau dansant et un peu fou, Reset une douceur de RnB avec un flow régulier appréciable, Ghetto Music passe d’une plage sonore à une autre (comme plusieurs morceaux en un), Knowing a une instru géniale et Big Boi y offre un flow dément. En somme le projet de Big Boi est un pur projet de rap qui s’éloigne de ce que fait Andre 3000, ce qui explique à coup sûr pourquoi l’ensemble des critiques passe souvent à côté. Big Boi sait raper, il sait doser ses morceaux pour laisser l’auditeur apprécier la technicité de son flow. Il sait écrire et sait jouer sur les sonorités.
« As I, struggle to keep my balance and composure/ I’m posed to propose a toast to players on every coast-a/ The lyrical roller coaster, mind-bender »
Et c’est précisément cet ensemble de choses qui me plaisent dans le rap. La mélodie de l’instrumentale liée à celle du flow, l’abondance de détails dans une instru, le découpage du rythme et les idées qui démarqueront un morceau. Cet album contient tout ça. Je retiendrai parmi toutes les tueries de Big Boi celle qui s’offre un feat avec Jay-z, Flip Flop Rock, comme meilleur morceau de l’album tant il pousse loin le son. Un morceau à écouter à fond. L’album se termine sur du crunk pur et dur avec lil john et Millo qui envoie encore du paté.


Ce double album se démarque des anciens opus du duo, d’abord parce qu’il est mené séparément et qu’il choisit de ne plus mixer les styles des deux bonhommes mais aussi parce qu’il est risqué. En effet, moi j’aime l’album car il a violé mes jeunes oreilles à l’époque. Le son fou d’Outkast avait participé à la construction de mon identité culturelle et alors il était aussitôt devenu un album du cœur. Mais il faut avertir ceux qui ne connaissent pas l'opus. Big Boi et Andre font chacun le choix d’y aller à fond, quitte à dénuer l’album de toute cohérence. L’ensemble peut être déstabilisant et même écœurant. Le hip-hop proposé sort des sentiers battus, demande à l’auditeur une adaptation et en ça ne ressemble pas à ce que le groupe faisait avant, c’est-à-dire du rap créatif et modeste. Ici c’est taré. Taré mais sincère et toujours très riche. Peut-être un peu trop parfois.

-Alive-
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le 5 janv. 2014

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