Le passage aux années 2000 a été lourd de signification dans plusieurs domaines. Comme la musique et notamment le rock. S’aseptisant, perdant de sa rage afin de rentrer dans le rang pour ne pas perdre son droit à la parole dans le mainstream. Puisque désormais mis à mal par un hip hop plus vigoureux car moins vieux. Un regard actuel confirme d’ailleurs que le rap est devenu le nouveau rock pour la jeunesse.


Sans sombrer dans un terrible embourgeoisement à la Chris Cornell, PJ Harvey n’a pas échappé à cette pandémie du tout propret. Parce que Stories From the City, Stories From the Sea n’est pas uniquement un repère temporel dans sa carrière, mais aussi une rupture dans sa discographie. Le rock alternatif n’est plus. Bienvenue à un pop rock calibré et, hélas, prévisible.


Ce tournant musical s’explique par des raisons d’ordre privé. En effet, en 1999, Polly va mieux. Elle décide même de partir vivre à New York pendant neuf mois. A son retour d’Angleterre, elle accouche d’une œuvre suintant la joie de la trentaine à peine entamée. La musique parfaite des cadres dynamiques d’une métropole (la pochette est plus qu’explicite à ce sujet). Un truc fondamentalement pas rock du tout. Cette production particulièrement lisse n’aidant pas non plus à voir cette sortie d’un bon œil. Les moyens mis en branle pour mettre tout le monde dans sa poche étant si énormes qu'on a plus l'impression d'avoir affaire à un disque de variété internationale.


Ne soyons pas trop sectaires. Ce qui compte avant tout, c’est tout de même les chansons et l’âme de cette artiste.


Hélas, c’est de côté-là qu’il y a un gros problème : cet album est plat. Plat comme peut l’être la vie de ces cadres des grandes cités justement. Si on peut apprécier la démarche de privilégier sa facette mélodique, on peut également regretter que les compositions aient perdu leur force de frappe. « Big Exit » en est symptomatique. Son joli refrain est facile à fredonner. Néanmoins, les couplets sont d’une platitude inhabituelle pour une chanteuse de ce calibre. « This Is Love » est bien pire. Le refrain est entêtant, mais le titre tourne tellement en rond qu’on croirait entendre du rock FM.
Étrangement, quand elle tente de revenir en terrain connu, c’est encore plus décevant. « Horses in My Dreams » tente de nous émouvoir dans un registre intimiste. C’est d’un ennui consternant. « Kamikaze » essaye de faire parler la poudre comme à ses débuts. Sauf que c’est très gentillet. On est loin des cavalcades rythmiques de Dry et de l’approche crade de Rid of Me.
Même la venue de Thom Yorke ne parvient pas à sauver les meubles. C’est malheureux, car c’est sa participation qui fait rentrer « This Mess We're In » dans le pire du répertoire de PJ. Bon sang, que ce refrain est niais ! Là pour le coup, le leader de Radiohead démontre à quel point il peut devenir un sacré boulet au chant.


Si Stories From the City, Stories From the Sea est une énorme déception, cela ne signifie pas non plus qu’elle est dénuée de qualités. Cette sortie étant plus inégale que complétement ratée. « A Place Called Home » (meilleur morceau haut la main) est d’une beauté solaire touchante. « We Float » épouse un spleen aérien faisant mouche. « The Whores Hustle and the Hustlers Whore » est d’une vigueur convaincante. Quant à « Good Fortune », c’est un hit inoubliable. Certes, un brin putassier à cause des "heyheyhey" idiots de Popo. Mais finalement bonnard tel un vieux tube des Pretenders.


Alors, il est évident que cet album est typiquement celui qui plaira à ceux qui n’aiment pas la dame habituellement. Ce qui explique ses chiffres de ventes importants pour une personnalité indie (un million d’exemplaires dans le monde, son disque le plus vendu forcément). Ce qui est moins compréhensible, c’est le succès critique qui l’a accompagnée. Puisque c’est exactement à cet instant que les journalistes auraient dû se montrer exigeants. Au moment où une chanteuse/compositeur s’engage dans une voie d’embourgeoisement. Parce que si ce cliché de l’artiste torturé faisant une musique profonde n’est pas toujours vrai, il n’est pas loin de la vérité concernant PJ Harvey .
Elle aura beau clamer dans ses interviews que ses chansons n’étaient pas autobiographiques, il fallait tout de même avoir quelques problèmes psychologiques pour les écrire. Car si la personne va mieux, l’artiste, elle, est sur le déclin.


C’est dans ses moments-là qu’on prend conscience que le fameux dicton des gens donnant le meilleur d’eux- mêmes face à l’adversité est terriblement vrai. Stories from the City, Stories from the Sea l’incarne d’une malheureuse manière.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
5
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le 7 oct. 2017

Critique lue 526 fois

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