SZR 2001
5.3
SZR 2001

Album de $-Crew (2022)

Après six années d'attente, le collectif parisien du S-Crew fait son grand retour en 2022 avec SZR 2001. Le groupe, composé de Framal, Mekra, 2zer Washington et Nekfeu, était resté sur un excellent album, Destins liés, sorti en 2016, que je classe allègrement parmi mes favoris du rap français. Ce ne sera pas le cas pour celui-là.


La déception commence dès la publication du clip du titre 22 sur YouTube. Un morceau très élogieux (lol) envers la police. Des couplets très courts et sans intérêt, un Nekfeu fade chantant un refrain qui l'est tout autant, pour un résultat franchement en-dessous des attentes. Le couplet de Framal est littéralement une liste des surnoms de la police. Il n’y a rien à redire sur la prod’ mais le reste manque cruellement d’inspiration. Le clip est bien réalisé, mais j’aurais pu en écrire moi-même le script quand j’avais 14 ans : les policiers ne sont pas gentils, ils tapent les sans-abris, agressent sexuellement les femmes, contrôlent les Noirs et les Arabes mais pas les voyous gaulois. Le message est légitime mais extrêmement maladroit. C’est à ce moment-là que j’ai compris que l’album risquait d’être un flop comparé au précédent. Aujourd’hui encore, je ne comprends toujours pas pourquoi c’est ce morceau et pas un autre qu’ils ont choisi pour teaser le projet et annoncer sa date de sortie.


Pourtant, à l’écoute du premier track, N’oublie pas, mes espoirs renaissent. Chaque couplet est maîtrisé, personne ne semble moins bon qu’un autre. Celui de Nekfeu est sans doute l’un des mieux écrits de tous les albums du S-Crew, tant l’hommage à Népal (paix à son âme), sans le nommer une seule fois, et les nombreuses références à son art sont admirables.


Malheureusement, l’espoir fut court. Le reste de l’album ne sera pas à la hauteur de son morceau introductif. Si le premier hommage à Népal est réussi, le second, Maintenant, l’est beaucoup moins. Le morceau est loin d’être aussi touchant, les lyrics loin d’être aussi qualitatifs. La voix trop grave (et trop vocodée) de Mekra rend le refrain peu appréciable.


Plusieurs morceaux sont tout de même acceptables : j’ai hoché la tête sans trop de difficultés sur Manque de sommeil, La loi du plus fort, Drap sur le opps ou encore Chez nous. 2001, chanson plus mélancolique, a aussi été une bonne surprise. Seulement, et c’est là l’un des plus gros défauts de l’album, nombreux sont les morceaux qui se ressemblent et qui ne se distinguent que par leur fadeur. On s’ennuie à mourir sur Ouais Boy, Plus rien à faire et surtout sur Fight club, où un Nekfeu en manque complet d’imagination chante un refrain répétitif qui m’a fait regarder plusieurs fois ma montre. Ceux comme Trilogie ou Djadja ne sont pas mauvais, mais ne sont pas bons non plus.


Destins liés avait le mérite de ne pas comporter que des morceaux aux tonalités plus tristes. Certains étaient plus joyeux, comme Démarre, Félins ou encore J’aurais pas dû, qui ont tous été des réussites. SZR 2001 se révèle être, lui, particulièrement ténébreux. Trop ténébreux. En fait, le seul son un peu “good vibes”, si vous me permettez cet odieux anglicisme, c’est Encore. Est-ce une réussite à la hauteur de celles citées précédemment ? Clairement pas.


Quid des featurings ? Dans cet album, on a le droit à l’immanquable Doums, qui est un peu le cinquième membre du S-Crew, ainsi que PLK et Alpha Wann, qu’on ne présente plus. Si les deux premiers ont le mérite de sauver un peu Mauvais dans le fond, même si le son ne casse pas trois pattes à un canard, la présence d’Alpha Wann sur DonZoo est clairement ratée et restera anecdotique. Le résultat est un texte à des années-lumière de son écriture habituelle et une apparition d’à peine vingt secondes. Un featuring extrêmement décevant et clairement sous-exploité.


En bref, si cet album est loin d'être une purge, ses défauts sont beaucoup trop criants. En tant qu’amateur du S-Crew, je ne peux m’empêcher de le comparer avec la référence qu’est Destins liés, et le moins que l’on puisse dire, c’est que SZR 2001 est très loin d’être à la hauteur. Pour plusieurs raisons.


1) Le manque d’inspiration. C’est triste à dire mais c’est la vérité. On le sent. La plupart des thématiques et des sujets abordés sont les mêmes : la vie dans la rue c’est dur, les policiers et le système sont méchants, on a des valeurs et il faut pas nous trahir sinon c’est pas bien, S-Crew jusqu'à la mort. Voilà, c’est l’album. J'ai, de plus, des doutes sur la pertinence du message passé dans des titres comme 22 ou Djadja. Je crois que ce manque d’inspiration se remarque aussi sur la durée du projet. Avant l’ajout des quatre solos deux semaines plus tard, il comportait 16 titres pour un temps total d’écoute de 50 minutes et 15 secondes. Destins liés, avec le même nombre de morceaux, durait une heure. Au complet, c’est-à-dire avec 20 titres, SZR 2001 le dépasse d’à peine deux minutes. Quantité ne veut pas dire qualité, j’en conviens, mais dans ce cas-là on n’aura eu ni l’un ni l’autre. Ce manque d’inspiration est regrettable puisque, dans le tout premier teasing de l’album sur YouTube, on nous montre des représentations des membres lorsqu’ils étaient jeunes, les images d’un énigmatique accident de voiture. On s’attendait à ce que le S-Crew nous raconte une histoire, leur histoire, dans les moments heureux comme dans les moments plus dramatiques, au fil des morceaux. Malheureusement, nous n’aurons rien eu de tout cela. Au mieux quelques échantillons distillés ça et là à la va-vite au milieu d’un ensemble terne.


2) L’ennuyeuse répétition. Eh oui, c’est la conséquence de la première raison, le manque d’inspiration, qui a conduit à ce que la plupart des titres se ressemblent de par leur caractère fade. Hugz Hefner a relativement fait du bon travail sur ses instru’, même si celles-ci sont quand même loin d'être époustouflantes, mais les membres du S-Crew ne leur ont pas toujours rendu hommage de la meilleure des manières. Les tons de l’album sont trop graves, trop sombres. Il existe des albums graves et sombres qui sont excellents, mais le S-Crew nous a tellement habitués à y ajouter quelques touches de gaieté que le résultat fait bizarre. Curieuse direction artistique que le S-Crew pourrait sans doute nous expliquer de la manière suivante : “Ouais Boy, Maintenant on est Chez nous, on est indépendant et on en a Plus rien à faire de leur plaire pour faire les tunes de Djadja”. C’est un peu tiré par les cheveux mais c’est comme ça que je le vois. Suivant cette logique, on a donc moins de morceaux qui peuvent passer en radio. Mais du coup c’est moins bien. Je ne pensais pas dire cela un jour, mais j’aurais aimé qu’il y ait un peu plus de sons commerciaux dans cet album. Cela aurait sans doute contribué à le rendre un peu plus léger, et par la même un peu plus agréable à écouter.


3) La différence abyssale de niveau entre Nekfeu et le reste du groupe. On n’a pas attendu SZR 2001 pour comprendre que Nekfeu est largement au-dessus des autres membres de son crew, mais dans cet album cela frôle l’absurde. Pourtant, il y a des projets communs qui ont fonctionné avec des membres qui n’avaient pas le même niveau artistique : les Casseurs Flowters, par exemple, avec un Orelsan au sommet de sa forme et un Gringe peu habitué à l’exercice, ont eu un résultat très satisfaisant. Destins liés lui-même, malgré la domination immanquable de Nekfeu qui a sublimé l’album de par sa prestation exceptionnelle, avait mis tout le monde d’accord en 2016. Sauf qu’en 2016, Nekfeu n’avait entamé sa carrière solo que depuis une année, et ses compères étaient encore relativement actifs puisqu’ils étaient restés sur Jeunes entrepreneurs, l’album de l’Entourage, en 2014. Là, l’écart est colossal. Si 2zer a sorti deux projets corrects, Framal et Mekra, à eux deux, n’ont sorti que quelques morceaux qui doivent se compter sur les doigts d’une seule main en l’espace de six ans. Ce qui était acceptable en 2016 ne l’est plus en 2022, tant Nekfeu a changé de dimension depuis avec Cyborg et Les Étoiles Vagabondes. Sur SZR 2001, le constat est clair : même avec majoritairement très peu d’inspiration malgré quelques fulgurances à souligner, notamment son solo Nek O qui montre tristement à quel point il aurait pu être meilleur, Nekfeu reste très largement au-dessus de ses compères, et prend en plus trop de place par rapport à eux. Sur 20 titres, Nekfeu est au refrain sur pas moins de 14 d’entre eux ! Je suis trop fainéant pour le calculer, mais je pense qu’il occupe facilement un bon tiers de l’album à lui tout seul. Plus que Nekfeu qui prend trop de place, c’est sans doute aussi le reste du groupe qui s’appuie trop sur lui. Mekra est anecdotique et lassant, et sa voix ne l’aide pas. Framal aurait pu être meilleur s’il avait compris que sa voix à l’ancienne qui kickait était meilleure que celle qu’il a depuis six ans, qui la plupart du temps ressemble à la mienne quand j’ai une angine, mais ses lyrics restent aussi inintéressants que ceux de son frère. 2zer s’en tire encore le mieux, avec quelques bonnes perf’ comme sur Drap sur les opps et son solo Double turbo qui est loin d’être mauvais, mais ça reste très poussif par rapport à Nekfeu, et il se saborde parfois lui-même avec ses flows de pom-pom girl.


Conclusion : cet album n’est pas mauvais dans le fond, mais franchement décevant de par les morceaux majoritairement peu inspirés, le caractère excessivement sombre et fade qui s’en dégage et la différence trop forte de niveau entre Nekfeu et le reste du groupe. Tout n’est pas à jeter, on reviendra sans doute quelques fois pour réécouter un ou deux sons, mais on l’oubliera vite, hélas, malgré le nom de l’excellent premier morceau. On reconnaîtra quand même que le visuel de l'album est relativement appréciable. J’ai tout de même acheté le vinyle, plus pour le posséder que pour l’écouter. C’est bel et bien vers Destins liés que je vais pour une énième fois retourner, cette fois pour faire passer cette déception. Il semble que le groupe ait clos la trilogie et que la page soit tournée. Le S-Crew des années 2013-2016 restera quand même dans nos cœurs.

LouisD_Ficile
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le 16 août 2022

Critique lue 348 fois

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