Tabula Rasa
8.5
Tabula Rasa

Album de Arvo Pärt (1984)

https://www.youtube.com/watch?v=7vdgZAJVnes


Je suis dans les bois, je fonce. Un travelling latéral m'accompagne dans ma course ; on entend les branches au sol craquer sous mes pieds, ma respiration haletante. J'ai de la terre sur les cheveux, j'écarte les feuillages de mes bras. Des troncs de toutes sortes et de toutes tailles traversent le champ de la caméra, donnant à ma course l'apparence d'une succession de diapos. C'est un plan séquence, malgré tout coupé par les arbres en gros plan, qui défilent. Je suis poursuivi par une chose terrible, et je m'enfonce dans le noir de la forêt. Jusqu'à disparaître. La Chose ne me voit plus.


Puis je ressens tout, tout se calme. L'apaisement. Je n'ai plus besoin de voir moi-même. Je comprends tout sans voir. L'environnement me parle. Et c'est maintenant moi qui voit La Chose, elle commence à se sentir traquer. Elle a bien raison. La vraie lutte commence. Je commence à me poster, prêt à bondir. Comme un félin. Comme le seul puma qui traîne encore dans cette forêt. Le dernier Jedi.


Je m'approche de La Chose en silence, c'est là que tout se complique. Les monstres, c'est compliqué. Plus on s'approche, plus on est tenté de les comprendre. L'empathie, la fascination... la contemplation. Compliqué de bondir. Faut beaucoup réfléchir. Ça prend du temps. Attention, on peut être tenté d'aimer. Il faut aimer d'ailleurs, mais faut faire gaffe. La Chose, elle, elle n'hésitera pas. Elle a un grand manteau noir, qui s'étale en étoile sur le mucus. Sa couronne est baroque, pour le style seulement ; parce que le monstre, lui, il est moderne. C'est de là que vient son élégance morbide, c'est très séduisant. Il a les épaules blotties sous sa lourde cape, le dos un peu rond, comme s'il portait trop de choses pour les autres. Et il a de bonnes manières. Il y a peut-être moyen de discuter, les opposés ont généralement tellement de choses à s'apporter. Ce serait tellement plus facile pour tout le monde, si avec ce monstre en particulier on trouvait le compromis qu'il faut pour le bien commun. Faire table rase... sans révolution.


N'importe quoi ! Il essaiera de me bouffer dès qu'il le pourra. Je vais attendre que les violons saccadés reviennent, comme au début. Et s'ils ne reviennent pas, je remettrai la chanson. Pour me rappeler pourquoi je fais tout ça. Et je veux des accords en plus, des staccatos de cordes
à la limite, plaqués comme des cloches. Pour le côté épique. L'héroïsme simple, efficace, et collectif.


Voilà que Ronald se retourne. Il a un manteau noir c'est vrai, mais aussi un gros nez rouge. J'avais pas vu. Ça fait Pouet quand on appuie dessus. C'est un peu angoissant, mais j'ai passé l'âge d'avoir peur des clowns. Voilà que les violons reviennent danser, . J'ai le popotin qui gigote, et je trépigne des pattes comme un félin en filature. Je pourrais rester comme ça des heures, c'est le moment que je préfère. Le saut qui va suivre, je vais même pas le voir passer. Trop de concentration, trop vif. Comme un éternuement sans mouchoir. J'en ai plein les mains ; faut que je trouve un nouveau monstre, pour les essuyer. Il y a un truc cyclique là-dedans. C'est ça le plus effrayant je crois.


EDIT : citations, totalement arbitraires.


"Tintinnabulation is an area I sometimes wander into when I am searching for answers – in my life, my music, my work. In my dark hours, I have the certain feeling that everything outside this one thing has no meaning. The complex and many-faceted only confuses me, and I must search for unity. What is it, this one thing, and how do I find my way to it? Traces of this perfect thing appear in many guises – and everything that is unimportant falls away. Tintinnabulation is like this. . . . The three notes of a triad are like bells. And that is why I call it tintinnabulation" Arvo Part

Vernon79
10
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le 12 nov. 2017

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Vernon79

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