Tout le monde sait, ou plutôt tout le monde devrait savoir, que sur quelques mois de 1965-1966, Robert Zimmerman, dit Bob Dylan, a atteint un niveau artistique que l'on ne peut que qualifier de GÉNIE ABSOLU, un niveau qui lui a valu une reconnaissance globale immédiate, mais qui l'a ensuite, logiquement, condamné à une vie entière à rattraper ou contredire ou encore ridiculiser le matériel alors produit, et en particulier les albums "Highway 61 Revisited" et "Blonde on Blonde". Écouter les démos et versions alternatives des chansons écrites en 1965 - 1966 revient peu ou prou à ouvrir une fois encore la Boîte de Pandore de nos émotions et de notre admiration : on se croyait "guéris" de Dylan, on découvre qu'il n'en est rien, que ces morceaux font toujours les mêmes trous béants dans notre tête, dans notre monde, que leur impact est toujours aussi dévastateur. Il y a les mots qui coulent comme un torrent, dans lequel nous nous engloutissons, émergeant juste assez, ci et là, pour une goulée d'oxygène que nous accorde généreusement le jeune barde (ces formules à l'emporte-pièces, déguisées en poésie, qui auront tant été utilisées par ceux qui prétendront en avoir été illuminés). Il y a cet esprit de confrontation permanente qui règne ici, que ce soit avec les puissants qui nous oppriment, les femmes qui nous dominent, ou les amis qui nous trahissent ou nous déçoivent : combien de chansons de Dylan ne sont que d'impitoyables réglements de compte, je vous le demande ? Il y a cette voix, nasillarde, provocante, qu'il est si facile de rejeter, de détester, et qui touche pourtant tellement juste. Bref, cette musique est ESSENTIELLE. Maintenant, que dire de cette compilation "The Cutting Edge", qui existe en un format monstrueux (plus de 300 chansons, me semble-t-il...) et aussi en version un peu plus humaine, accessible, d'un double CD ? Personnellement, et je sais que je ne suis pas comme tout le monde, je n'en ai rien à battre de comprendre comment un artiste a fait pour en arriver au résultat final qu'il a considéré comme correspondant assez à sa vision pour le proposer à son public, par quelles étapes il est passé. Au contraire, je préfère respecter son désir de nous faire écouter une certaine version de ses chansons, plutôt que les 5 ou 10 brouillons qui ont précédé. Que "The Cutting Edge" soit riche en "insights" sur la manière dont Dylan fonctionna et travailla durant cet âge d'or, je ne le nierai pas : pourtant, il est indéniable - et logique - que les versions figurant ici sont inférieures aux versions finales. On a même droit, du coup, à d'aimables plaisanteries, quand Dylan et ses musiciens poussent la logique rythmique ou mélodique de certains morceaux de manière caricaturale : c'est amusant, certes, mais c'est tout. Bref, je me permettrai de vous donner un conseil : gardez plutôt vos sous et votre temps précieux pour racheter les originaux et les réécouter, encore et encore... Finalement, le plus gros mérite de ce "Cutting Edge", c'est de remettre Dylan au centre de l'échiquier en 2015 - 2016, cinquante ans plus tard, à une époque où l'absence d'un tel génie se fait sentir plus douloureusement que jamais. [Critique écrite en 2016]

EricDebarnot
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le 23 févr. 2016

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Eric BBYoda

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D'autres avis sur The Bootleg Series, Vol. 12: 1965–1966, The Cutting Edge

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