Après quatre ans d'un silence quasi-assourdissant, le retour de Dave était l'un des événements les plus attendus de la décennie. Avec "The Boy Who Played The Harp", il ne livre pas seulement un album, mais un testament. Une œuvre dense, courageuse et narrativement impeccable qui le voit abandonner la couronne du roi pour endosser le rôle, bien plus lourd, de conscience de sa génération.


Quatre ans. C'est le temps qu'il aura fallu à Santan Dave pour donner une suite à son panorama social acclamé, We're All Alone In This Together. Une éternité dans l'industrie musicale actuelle, mais une période de gestation nécessaire pour accoucher d'un tel projet. Car "The Boy Who Played The Harp" n'est pas une collection de chansons, c'est un roman initiatique. Un arc de rédemption en dix chapitres qui voit le protagoniste passer de l'arrogance divine à la culpabilité la plus sombre, pour finalement trouver le salut dans la responsabilité.


La narration comme colonne vertébrale : un voyage en apnée

Oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur la structure d'un album de rap en 2025. Dave a ciselé ici une épopée d'une cohérence narrative à couper le souffle. L'album s'ouvre sur le grandiose "History", où un Dave prophétique, adoubé par Dieu et James Blake, annonce son entrée dans l'Histoire. La couronne est posée mais elle est lourde.

Dès "175 Months", le vernis craque pour révéler une âme tourmentée par le deuil et la foi vacillante. C'est le début d'une descente aux enfers qui culmine avec le dévastateur "Selfish". Sur cette piste, le point le plus sombre de sa carrière, Dave pratique une auto-dissection sans anesthésie, liant son ambition dévorante à ses échecs relationnels et confessant l'échec même de la thérapie qui formait le concept de son premier album, Psychodrama.

Le point de rupture, et le véritable tournant de l'album, est le monologue fleuve de "My 27th Birthday". Une confession brute où il expose ses contradictions, son hypocrisie face aux injustices du monde et la source de son traumatisme. Le morceau se clôt sur un message vocal de son ami incarcéré, Josiah, qui le supplie de veiller sur sa sœur, Tamah. C’est là que l’album bascule.

Dave sort de son introspection pour agir. Sur "Marvellous", il raconte la tragédie de Josiah, révélant sa propre culpabilité dans l'incarcération de son ami. Puis, dans un acte artistique d'une puissance rare, il cède le micro sur "Fairchild" pour laisser une voix féminine raconter la peur et la réalité de la violence misogyne, allant jusqu'à s'accuser d'avoir contribué à cette culture dans ses propres chansons. Le voyage s'achève avec la piste-titre, où, après un dialogue spirituel avec ses ancêtres, il accepte enfin sa mission : être David, non pas le roi, mais "The Boy Who Played The Harp" – celui dont l'art peut guérir et dire la vérité.


L'épure sonore au service du verbe

Ceux qui s'attendaient à la diversité stylistique de We're All Alone In This Together seront peut-être déroutés. Ici, point de "bangers" pour les clubs. La production est sobre, presque austère, dominée par des pianos mélancoliques et les nappes atmosphériques de James Blake. C'est un choix délibéré et brillant. Dave a sacrifié l'exubérance pour la cohésion. La musique est la bande-son cinématographique de son récit, un écrin conçu pour que chaque mot, chaque syllabe, frappe avec un maximum d'impact. Il ne cherche plus à prouver qu'il sait tout faire, mais à dire ce qu'il a sur le cœur. C'est le passage de la démonstration à la confession.


La conclusion d'un triptyque

Cet album vient clore une trilogie parfaite sur l'identité :

  • Psychodrama était l'exploration du "Moi", une plongée introspective dans le cabinet d'un thérapeute.
  • We're All Alone In This Together était l'observation du "Eux", une fresque sociale sur le monde qui l'entoure.
  • The Boy Who Played The Harp est la synthèse du "Moi" face au "Nous", l'histoire d'un homme qui tente de trouver sa place et sa responsabilité au sein de ce monde.

Les limites d'un chef-d'œuvre exigeant

Un tel album n'est pas sans défauts, qui sont souvent le revers de ses qualités. Son incroyable densité le rend émotionnellement éprouvant et peu accessible pour une écoute distraite. C'est une œuvre qui se mérite, qui demande un investissement total. Sa "rejouabilité" est également questionnable ; on n'écoute pas "Fairchild" en boucle comme on le ferait de "Clash". C'est un album que l'on admire et respecte profondément, une expérience totale que l'on vit plus qu'on ne la consomme.


En définitive, "The Boy Who Played The Harp" semble être l'œuvre la plus mature, la plus importante et la plus courageuse de Dave. Il y sacrifie l'immédiateté pour la postérité, l'efficacité pour la profondeur. C'est le son d'un artiste qui a regardé ses démons en face et a décidé de les combattre non pas avec une épée, mais avec une harpe. Dave n'est plus seulement le roi de la scène rap britannique ; il en est devenu la conscience.

filipcisco
9
Écrit par

Créée

il y a 7 jours

Critique lue 39 fois

2 j'aime

filipcisco

Écrit par

Critique lue 39 fois

2

D'autres avis sur The Boy Who Played the Harp

The Boy Who Played the Harp
Duxy_h13
8

Le retour de Santan

Ça faisait un moment qu'il nous avait pas fait de projets en dehors de son EP avec central cee ainsi que ses annuels "Birthday" introspectifs (qu'on retrouve aussi dans cet album). Un projet autour...

il y a 7 jours

1 j'aime