Je l'avoue, j'ai une affection particulière pour les projets d'intégrale. Je trouve fort noble cette quête d'exhaustivité, cet intérêt porté tant aux grands classiques qu'aux pans moins connus du corpus.

Le défi est évident, il s'agit de produire une intégrale à la fois cohérente, réfléchie dans sa globalité, tout en restant attentifs au détails, aux composantes des oeuvres, et aux évolutions dans la vision du compositeur...

Leonskaja qui s’attèle à une intégrale Schubert, c'est à la fois un rêve d'auditeur et l'accomplissement d'une longue carrière et d'un long parcours d'interprète avec le compositeur. Souvenons-nous que Leonskaja a déjà consacré de nombreux enregistrements à l'autrichien. D'abord chez Teldec entre 1985 et 1997, avec plusieurs sonates, le quintette "La Truite" et les impromptus, puis dans un disque pour MDG.

Lorsqu'elle enregistre cette intégrale, qui si elle paraît aujourd'hui chez Warner, a été enregistrée entre 2015 et 2017 pour le label EaSonus, la pianiste native de Géorgie connaît donc bien son Schubert.

Le premier point surprenant, c'est que la pianiste connue pour ses penchants pour le répertoire très romantique livre une interprétation très fraiche et humble des sonates de jeunesses, dont on aurait pu craindre qu'elles fussent le ventre mou de l'intégrale. Il n'en est rien.

Les grandes sonates, jouées, rejouées et rerejouées, sont ici fort bien servies, par un dessein, une puissance qui n'appartiennent qu'à Leonskaja.

C'est peut-être dans les sonates "intermédiaires" que l'intégrale se montre le plus convaincante, avec une fantastique interprétation de la rare sonate "Reliquie", ou de la D845 par exemple.

En fait, ce que je trouve le plus réussi, c'est qu'on entend à chaque moment à la fois Schubert et Leonskaja. Le jeu de la pianiste, fidèle au compositeur, n'en est pas moins unique. D'une beauté transpercente, il refuse les apitoiements (on songe aux mouvements lents des dernières sonates, si souvent joués comme des processions funéraires) et avance inlassablement, portant toujours une gravité, une certaine mélancolie... J'aime particulièrement la manière dont elle fait émerger les nombreux thèmes secondaires qui fourmillent dans ces sonates, et comment, une fois joués, elle les repose dans l'obscurité. On avance, on avance. Jamais avare de puissance, jamais prise en défaut de manque de subtilité. Toujours dans une idée globale de l'oeuvre, dans un récit imperturbable.

Je trouve extrêmement dommage l'indifférence qui entoure cette sortie, et plus généralement le parcours d'Elisabeth Leonskaja. Il me semble que cet enregistrement a tout pour être une intégrale de rêve, en tout cas un des plus importants enregistrements des sonates de Schubert, par une de ses plus dévouées apôtre.

SadCaptain
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le 30 déc. 2023

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