En 1968, Al Kooper avait enregistré avec Bloomfield et Stephen Stills un album en studio qui avait connu un gros succès, mérité bien qu’inégal, « Super Session ». L’enregistrement bien que réussi avait été compliqué car Bloomfield avait laissé en plan Kooper, ce dernier devant faire appel à stills pour l’achever. L’envie de poursuivre leurs aventures étaient quand même tentante et ce sera chose faite en concert. L’occasion aussi d’enregistrer un album en public. Le duo est programmé les 26, 27 et 28 septembre 1968 au Fillmore East de Bill Graham, à raison de deux concerts par soir. Sauf que le dernier soir, Bloomfield ne peut pas jouer (on entend Kooper l’annoncer sur l’album). Son addiction à l’héroïne provoque de graves insomnies qui l’obligent à être hospitalisé. Dans l’urgence, Kooper appelle Carlos Santana (alors inconnu), Steve Miller et Elvin Bishop pour le remplacer. Ce double album live n’est fait quasi que de reprises. À l’exception de l’instrumental « Her Holy Modal Highness » aux effluve jazz et prog dépassant les 9 mn issu de Super Session, mais cette version n’est pas si convaincante que ça, le jazz n’étant pas leur domaine de prédilection. C’est clairement dans les blues que le duo est le plus explosif avec la guitare brillante de Bloomfield (on ne le dira jamais assez) sur « I wonder who », « That’s all right » ou encore « Green Onions » et « Dear Mr Fantasy ».
Il reste cependant de vrais points faibles à ce cet enregistrement, d’abord la voix de Bloomfield, correcte mais pas fabuleuse ; s’il est un des meilleurs guitaristes de sa génération, digne héritier de B.B. King, il n’est pas un grand chanteur. Sa voix malheureusement montre vite ses limites. Et reprendre dans ce concert deux morceaux de Ray Charles était assez casse-gueule ("I Wonder Who" et "Mary Ann"). Ensuite, la musique jouée par le duo les deux premiers soirs est largement supérieure à celle du dernier concert avec les invités, qui ne déméritent absolument pas mais la cohésion n’est plus la même dans l’ultime partie du concert : Carlos Santana interprète un morceau de Jack Bruce, « Sonny Boy Williamson » pour un rhythm & blues roboratif où il décoche un solo flingueur. Pour la suite débarque Elvin Bishop qui avec sa guitare et son chant nasillard part pour 12 mn de blues stoner sur « No More Lonely Nights » de Sonny Boy Williamson I. Bien, mais pas la même entente qu’avec Bloomfield. Au final, un très bon double album, authentique mais inégal (allant de l’excellent au juste correct) avec un son approximatif, malgré quelques ajouts en studio sur deux titres probablement. L’album a été un grand succès, un cran en dessous « Super Session » mais Kooper a été lucide en disant : « Je ne pense pas que notre jeu y soit si brillant, même si ça s’est très bien vendu ». Après cela, la carrière de Bloomfield va tristement s’enfoncer dans les addictions sans fin, la guitare devenant pour lui sans grand intérêt. Il reviendra discrètement à la fin des années 70 mais il était déjà trop tard et il est mort en 1981 d’une overdose dont on ne sait pas si c'est un accident ou un suicide.