La forêt a été éventrée par des tentacules de plastiques et des écailles de béton. Les souches centenaires s'effritent sous les chenilles d'acier des monstres constructeurs. L'air se fait de plus en plus vicié. Partout flotte cette poussière métallique qui dessèche les mousses et fane les pétales. Dans l'abysse industrielle, la nature continue pourtant de palpiter, résiliente et muette.
Le cadre est posé, un écho puissant monte, sombre et inquiétant, puis la batterie gronde. La force percussive est contrebalancée par de subtiles chuintement électroniques, auxquels se greffent un crescendo lancinant de cordes : violoncelles et violons résonnent en un patchwork dissout, s'invitent à la danse industrielle, avant que ne se déchaîne des tremolos saturés de la guitare. Les hauts fourneaux éclatent et déversent leurs vomissures synthétiques. La retombée est finalement puissante, s'éteignant sur un sermon anti-compétitif plein de sagesse. Industry a retenti.
Cette immersion dans une musique profondément lyrique -poétique, romantique même- nous accompagne tout au long de l'écoute, sur un album qui se vit comme une parenthèse émotionnelle : deux titres incisifs ouvrent et ferment l'album, et au milieu planent deux morceaux plus apaisés. Sur Renaissance, les échos baroques sont majestueux, optimistes, l'apport des cordes est absolument salvateur, tandis que Amazing Old Tree nous propulse dans une succession de nappes atmosphériques solennelles, rappelant la puissance et la fragilité d'une nature bafouée par l'Homme.
Bruit ≤ est un nom de groupe audacieux et étrange pour une formation toulousaine qui mise tant sur l'élément mélodique. Du bruit harmonieux donc, qui oscille constamment entre le calme bourdonnants des cimes et le fracas chaotique des profondeurs. Le groupe réussit au final à synthétiser ces deux entités avec une prestance, une profondeur et un charme exceptionnels.
Avec ses interrogations écologiques et sociales évidentes (comme le rappelle le titre-à-rallonge de l'album, typiquement "post rock"), Bruit ≤ marque par son émotivité brûlante, son goût pour l'impressionnisme et la progression. Ceux ci atteignent des sommets de beauté grandiloquente quand, sur la pièce finale The Machine is Burning, tonnent puis agonisent les grondements d'un capitalisme mutilant et mutilé. Comme un appel aux masses à se ressaisir, et à enfin gouter à l'essentiel.