Souvenez-vous. En 2012, Manson avait tenté un retour au bourrin avec “Born Villain”, nous assommant à coups de grosses guitares et de rythmes parfois aussi subtils qu’un troupeau de bisons dévalant une colline. L’album était tout juste passable et cette soi-disant renaissance n’avait pas convaincu grand monde, donnant davantage l’impression d’une certaine incapacité à se renouveler. A l’époque, j’avais déjà, pour ma part, anticipé le fait que tout ceci n’était qu’un exercice de style et non une véritable remise en question. “The Pale Emperor” vient confirmer cela, car on est ici loin du style du précédent opus, même si j’avoue que notre bon vieux Marilyn (bah oui, il commence à avoir un peu de bouteille maintenant) a pris une direction à laquelle je ne m’attendais pas.


Outre cette superbe pochette d’une classe incontestable, c’est en effet la première chose qui saute aux yeux et qui surprend : sans pour autant renier son identité, l’artiste a teinté sa musique de sonorités blues qui ne lui vont pas trop mal, comme l’annonce en intro “Killing strangers”. Bon, je dois quand même dire que contrairement à beaucoup, je ne suis pas forcément en extase devant ce morceau, qui est certes celui qui apporte le vent de fraîcheur que l’on espérait, mais qui en lui-même manque d’un petit quelque chose qui le fasse vraiment décoller. Dans le genre rock un peu “roots”, je préfère largement le single “Third day of a seven day binge”, avec son gimmick hyper efficace, bien appuyé par la voix éraillée et nonchalante de l’Antichrist qui se mue ici en dandy un peu cradingue. J’aurais bien aimé que tout l’album soit un peu dans ce style-là, que Manson assume enfin le dandy décadent qu’il est devenu. Ce sera peut-être pour la prochaine fois.


Pour l’heure, lorsque l’on écoute “Deep six”, on sait très bien à qui l’on a affaire, et l’on acquiert vite la certitude que “The Pale Emperor” sera meilleur que “Born Villain”. Ce titre aurait très bien pu figurer dans l’album précédent, mais il aurait sans doute moins bien sonné : ici, la prod’ est plus clean, les refrains sont lourds et agressifs sans être indigestes… Bref, du Manson pur jus, comme peut l’être également “Cupid carries a gun” qui réserve aussi son lot de bons moments, et dont l’ambiance générale distille savamment un certain malaise avec ces râles malsains et ce clavecin déglingué. Décidément incorrigible, ce grand fou de Marilyn, sur ce titre, a tout d’un prêtre sataniste récitant sa prophétie morbide et moribonde dans une église improvisée au fin fond du bayou (“Better pray for hell, not halleluyah”).


Si, avec ce disque, Manson se montre plus combatif que sur “Eat Me Drink Me” ou “The High End of Low”, il ne semble pourtant pas s’être débarrassé d’une certaine forme de solitude due à sa personnalité un peu borderline, et qui confine parfois à la paranoïa. “The Mephistopheles of Los Angeles” est sans nul doute le titre le plus révélateur de cet isolement pesant qui frappe tous les génies accaparés par leur Art et qui se sentent souvent rejetés par le commun des mortels. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que ce bon vieil Antichrist refasse surface sur ce morceau, sous les traits de Mephisto cette fois (aka l’incarnation du diable sur Terre). Coutumier du fait, Manson ressort ses références bibliques et cette idée fixe de résurrection qui semble le tarauder depuis quelques années, le flirt avec la mort n’étant jamais très loin (“I'm feeling stoned and alone like a heretic / And I'm ready to meet my maker”). Mêmes sons de cloches - pour qui sonne le glas ! - sur les très explicites Odds of Even”, “The devil beneath my feet” et “Birds of hell awaiting” et son intro dantesque : entre réflexions sur le destin et pulsions autodestructrices, notre ami Marilyn s’accapare, au mieux, le rôle d’un oiseau de mauvais augure… Au pire, celui d’un démon à l’âme empoisonnée.


Car à n’en pas douter, “The Pale Emperor” est encore un album malade, reflet d’une société où l’obscurantisme et le populisme se propagent de nouveau comme une peste noire, guidée par des doigts invisibles qui semblent la précipiter vers un chaos inéluctable. Les cris de rage, d’amour et de désespoir mêlés de “Warship my wreck” n’en deviennent alors que plus beaux, et c’est presque naturellement que ce morceau surpuissant s’impose comme le meilleur de cet opus : le coeur ouvre une brèche, l’émotion s’extirpe de l’air vicié, les poumons s’emplissent du souffle de la révolte. N’oublions pas une chose : si le blues a été inventé, c’est avant tout pour exorciser la souffrance.

Psychedeclic
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le 2 sept. 2015

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