J’ai dit tout mon amour pour Souls at Zero dans ma précédente critique et si je veux poursuivre l’idée de chroniquer mes albums favoris de Neurosis, cela m’oblige fatalement à me frotter à Throught Silver in Blood.

Vous l’aurez peut-être remarqué, l’album a beau être culte et très reconnu dans la sphère metal, il ne compte qu’une seule critique ici sur ce site (du moins au moment où j’écris la mienne). Paradoxe ? Je ne pense pas. Pour moi, la chose s’explique simplement : Throught Silver in Blood est ce genre d’album qui désarme toute analyse, et dont aucune description aussi bien rédigée soit-elle ne peut rendre compte de la force.

On le sait, rien ne vaut l’écoute, mais tentons quand même l’exercice de la description.

D’abord, disons l’évidence qui est que, Throught Silver in Blood est l’album le plus massif, le plus expérimental et le plus violent de Neurosis. Certes il y a eu Enemy of the Sun juste avant, un album exceptionnel également, et non moins rêche. Un album dont il faut reconnaitre l’importance puisque c’est lui qui a définitivement fait basculer la musique du groupe vers un son doom. On peut même dire que tout ce qui est dans Throught Silver in Blood était déjà dans Enemy of the Sun. Mais Enemy of the Sun était un album qui flottait parfois dans un non-sens bruitiste, sans direction marquée. Un album brut par sa musique, mais aussi par son manque de génie. La deuxième partie de sa tracklist était un lâché prise bruyant et dégénéré qui faisait de lui un album intéressant en cela certes, mais qui à mon sens le retenait quelques pas en arrière du souffle dévastateur que va lâcher trois ans plus tard Throught Silver in Blood.

Comme si les mecs s’étaient dits « Eureka ! on a compris quelle direction donner à notre musique ». Donc, tout était déjà là en substance : les percussions tribales, les samples tirés de films d’horreur, les atmosphères épaisses, ce son à mi-chemin entre l’indus et le doom. Tout était déjà là mais Throught Silver in Blood va peaufiner la formule et prendre ces éléments pour construire avec eux des structures bien plus réfléchies.

Bref, il va frapper fort.

Chaque morceau est grandiose car chacun d’eux propose une idée singulière. On pourrait parler de la lente intro industrielle qui ouvre l’album sur un monde d’acier et de rouages qui tournent. On pourrait évoquer les deux titres interludes atmosphériques : Rehumanize et Become the Ocean, qui donnent à entendre l’autre facette de Neurosis, et notamment leur groupe parallèle (Tribes of Neurot), dans lequel ils produisent une musique electronico-ambiante. On pourrait évoquer le coup fatal que constitue Enclosure in Flame, dernier titre de l’album.

Mais prenons le morceau Locust Star.

Lui plus qu’un autre, parce qu’il est pour moi une sorte de point de non-retour. Le moment où on comprend que les musiciens n’ont proscrit aucune idée. Si ces idées aboutissaient à des moments au choix : angoissants, éreintants, dévastateurs, ou galvanisants, elles étaient validées. Même si elles étaient « too much ». C’est précisément le « too much » que vise Throught Silver in Blood.

En cela, Locust Star est bien représentatif de l’album. Il propose trois effets que j’aime énormément.

  • D’abord un son signature qui accompagne le riff. Une sorte de grincement, comme un frottement d’acier qui va titiller notre oreille de manière régulière.
  • Ensuite un agglomérat d’effets puissants (guitares et batteries lourdes bien sûr) mais soulignées ici par un discret effet de cymbale ultra percussif.
  • Enfin, une phase finale dantesque dans laquelle les voix des trois chanteurs se superposent, crient ensemble, mais pas à l’unisson, plutôt en une multitude de couches, donnant à la musique une densité énorme.

Là où je veux en venir, c’est que le morceau Locust Star – mais par extension, l’album complet - est massif pas seulement par ses guitares et ses percussions, mais bien grâce à des effets discrets mais toujours distincts qui émergent du bruit. Plus que jamais dans cet album, Neurosis développe une science du petit son qui change tout. Ce petit son aigue, ce petit effet anecdotique, qui posé ainsi ajoute la touche finale dont le morceau avait besoin pour devenir …la chose la plus écrasante qui soit.

C’est ainsi que je ressens cet album. Je le ressens comme : la chose la plus écrasante qui soit.

Ecrasante, mais toujours galvanisante. Throught Silver in Blood est un rouleau compresseur qui finit même par devenir mystique avec le morceau Aeon. Comme si tout ce bruit avait fini par réveiller La Bête. Aeon sonne l’avènement de l’Apocalypse. La deuxième partie du morceau et son crescendo de machinerie infernale (ce n’est pas une métaphore hein, ça sonne littéralement comme ça, comme le bruit d’une machine qui tourne à plein régime) rend l’image d’une Bête immonde qui se réveille, prête à dévaster le monde.

Voilà.

On sort de l’album complètement sonné. C’est un album épuisant mais grand. L’un des objets de metal les plus époustouflants qu’il m’ait été donné d’écouter. Extrêmement lourd, pas du tout accueillant – même plutôt l’inverse – mais fascinant par tous ses aspects.

À l’évidence, après une proposition si radicale, le groupe n’a pu que se diriger ailleurs. Impossible de monter les potards plus haut. Ils iront vers une musique davantage « post » metal, toujours noire, mais plus apaisée.

-Alive-
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le 28 févr. 2024

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-Alive-

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