Un morceau
Pourquoi décidons-nous de réécouter un album constamment ? Parce qu’il nous plaît ? Parce qu’il nous touche ? Il nous intéresse ? D’un côté, on ne retournerait pas à un album s’il ne nous plaisait pas, s’il ne nous touchait pas ou s’il ne nous intéressait pas. Non, il y a autre chose que l’expérience esthétique pure : l’expérience émotionnelle. Un album peut nous servir pour expurger nos émotions, un morceau en particulier peut nous aider. Et puis il y a les torrents, ceux qui veulent nous provoquer toute forme d’émotion, de la tristesse à la peur, à la joie, à la langueur. Mais il y a une troisième catégorie. Les albums qui nous brisent, et que l’on réécoute pour pleurer, pour lâcher prise et perdre toute émotion trop forte restreinte trop longtemps. En vivant un choc violent, j’y retourne sans cesse, lâchant toute les larmes de mon corps, comme la bande son de ma propre vie. Une apologie à la mélancolie. Passer au-delà du réel et briser sa carapace, toucher l’ineffable et le sensible, voilà ce que m’a appris cet album. Du moins une chanson en particulier : « Safe and Scarred ».
Mettre 9 à un album simplement pour une de ses chansons mineures, cela peut paraître dérisoire. Mais, plus j’écoute ce morceau, plus je me dis qu’il est touché par la grâce. Trois accords, répétés éternellement dans un arpège des plus simple, une phrase jouée au violoncelle et murmurée à la voix. D’aucun ne dirait qu’elle plonge dans un pathos dégoulinant et putassier, où l’émotion est recherchée pour l’émotion. Moi, elle me touche, dans tout mon être et toute mon âme (ah la limite des mots qui ne rendent pas justice). Une chanson que j’ai écoutée des heures et des heures, sans qu’elle me lasse. Mais le reste de l’album n’est pas en reste.
Une expérience
Insanity est une excellente introduction aux différentes textures de l’album, axé pop et folk mais avec plein de richesse : quel album pop ose commencer avec une progression d’accord comme ça ? Dans un premier album et dans le premier titre, une chanson si mélancolique et rageuse, avec une guitare comme instrument principal pendant presque la moitié du titre ? Puis vient Sunday with the Flu, qui permet de relâcher la pression, et puis parce qu’il faut bien vendre. Assez courte pour ne pas déranger, une fois faite on peut passer à autre chose.
Free vient alors prolonger ses envies pop, avec plus de trompettes, un peu de funk, et peu de folk, mais avec toujours cette petite mélancolie de cette guitare si particulière. Puis, tout redescend avec Alone, qui joue la carte de la douceur, avec une production qui est réellement proche de l’auditeur : nous sommes seul avec la musique chaude et enveloppante, comme pour nous dire de nous laisser aller. Prêtez détail aux sons : l’on entend les glissements des doigts sur les cordes, le frottement de la main droite à chaque coup de doigt, un murmure de la mélodie, le souffle de la voix brisée.
Et puis vient l’autre pépite de l’album, The Other Side, qui va s’amuser à traîner pour développer un univers : encore une fois, la créativité est de mise, des voix graves, des violoncelles, un schéma se dessine, jusqu’à safe and scarred. Shadow boxing vient clore le débat sur une note de colère, pêchue et construite sur un riff de violoncelle joué à la guitare, une excellente idée pour ajouter du dynamisme. C’est avec ce morceau qu’on se rend compte de la qualité des arrangements : guitare seule puis orchestre complet, et enfin une mélodie au piano, seul, qui vient clore le disque dans une piste cachée.
Un album qui comporte beaucoup de défaut, un plaisir plus ou moins coupable, mais qui forme la bande son de ma vie.