Comme tout bon groupe indie rock qui se respecte, Built To Spill a commencé sa carrière en jouant une musique revêche, lacérée de guitares électriques distordues. Ce premier album sent la production légèrement amatrice où les décibels et le bordel structurel font office à la fois de défouloir énergique, en s’inscrivant dans une identité rock bien définie, et de cache misère pour dissimuler le manque d’inspiration. En bref, le groupe est encore loin de l’inventivité étonnante, de l’originalité formelle et de la puissance mélodique dont il fera preuve par la suite. Ce qui est tout à fait normal, évidemment.


L’écoute de Ultimate Alternative Wavers est donc globalement décevante quand on a écouté les albums ultérieurs. On entend surtout un brouillon sonore, braillard, manquant de personnalité. Cependant, les écoutes répétées finissent par révéler des bribes de chansons intéressantes qui semblent faire émerger, de temps à autre, ce qui deviendra la signature du groupe, à savoir une approche singulière où la distorsion des guitares le dispute à la mélodie brisée et décalée, une sorte d’alchimie bancale qui témoigne d’une grande sensibilité et d’une subtilité plus développée que la moyenne des autres groupes de la catégorie.


Une chanson comme The First Song apporte déjà de l’eau au moulin pour faire de Built To Spill un combo atypique, avec ses envolées lyriques, portées par la voix unique de Doug Martsch (dont le ton nasillard rappelle par instant Neil Young), sur fond de guitares torturées, si ce n’est que le registre est encore distordu, ce qui a tendance à atténuer le potentiel planant des mélodies. Ailleurs, le groupe dégaine des parties de guitare, ainsi que des couplets et des refrains étonnamment accrocheurs au milieu du flot électrique, comme sur l’enjoué Three Years Ago Today et sur le génial Nowhere Nothin’ Fuckup, deux titres qui font ressortir le penchant du groupe pour la pop coulée dans un moule foisonnant de guitares à en perdre la boule.


Mais on n’est jamais loin des débordements gratuits, pour le plaisir de faire du bruit avec de la distorsion, et c’est ce qui limite la portée de la plupart des chansons du disque. Le groupe est encore jeune et se permet des choses qui ont tendance à allonger inutilement les morceaux, à l’image de Shameful Dread et surtout de Built Too Long (c’est le cas de le dire) qui, eux aussi, montrent déjà l’intérêt que porte le groupe aux chansons longues aux structures échevelées mais qui tournent en rond et ne progressent pas de manière cohérente, malgré certains passages intéressants (le début de Shameful Dread est pas trop mal).


Les morceaux plus « courts » souffrent également de ce problème, car une chanson comme Nowhere Nothin’ Fuckup aurait fait un puissant tube de trois ou quatre minutes mais s’éternise sans raison sur un bordel sonore inutile, une sorte maelstrom de riffs et de solos que le groupe exploitera bien mieux par la suite. Le même constat s’applique pour Get A Life et Built To Spill, des chansons avec des mélodies intenses mais qui se laissent aller à la facilité et manquent de profondeur dans leur composition. C’est parfois trop simpliste, les ruptures s’opérant souvent à coup de passages noise et bruitistes. Hazy arrive néanmoins à tirer son épingle du jeu, car elle se concentre sur sa mélodie plaintive, et cantonne le débordement électrique lors de son final qui prend la forme d’un solo déchiré, presque lumineux, soit l’acte de naissance de la magie Built To Spill où l’émotion planante surgit d’une électricité crépitante et insatiable, évoquant par instant les solos de Television.


Mais, dans l’ensemble, si le groupe affirme un goût précoce pour les architectures originales et ambitieuses, il ne sait pas encore comment mener sa barque, il lui manque la vision. On s’attend ainsi à des structures affolantes (surtout si on a écouté Perfect From Now On et Keep It Like A Secret avant), mais ce n’est pas complètement le cas, ce qui se révèle un peu décevant. Il ne faut toutefois pas en demander trop à ce premier album. Car en mettant de côté la légère et compréhensible déception en entendant un disque trop brut de décoffrage de la part d’architectes sonores si démentiels, on remarque quand même des choses accrocheuses.


Cette musique possède des idées, c’est indéniable, et son aspect foutraque finit par la rendre attachante, car elle bouillonne et transpire la générosité, parfois à l’excès (le disque est un peu trop long, près d’une heure, pour son contenu), tout en se révélant plus riche qu’elle ne paraît à la première écoute, notamment par la capacité du groupe à composer des mélodies bien senties, mélodies qui ne sont toutefois pas soutenues par des guitares aussi brillantes que sur les albums suivants de Built To Spill.

benton
7
Écrit par

Créée

le 13 sept. 2016

Critique lue 54 fois

1 j'aime

benton

Écrit par

Critique lue 54 fois

1

Du même critique

Beach House
benton
9

Critique de Beach House par benton

Je ne sais par quel miracle la musique de Beach House arrive à créer une nostalgie de rêveries insondables. Les mots ne sont pas assez forts pour évoquer le pouvoir étrange des chansons de ce groupe...

le 7 juin 2012

23 j'aime

5

Goodbye and Hello
benton
8

Critique de Goodbye and Hello par benton

Tim Buckley est presque aussi connu, si ce n’est plus, pour être le père de Jeff Buckley que pour sa musique, et c’est finalement un bien triste constat. Car il suffit d’écouter les albums de Tim...

le 1 juin 2013

17 j'aime

1

Figure 8
benton
9

Critique de Figure 8 par benton

Figure 8 est l'aboutissement logique ayant mené Elliott Smith du folk intimiste à la pop étincelante et fastueuse. C'est en tout cas l'effet que donne l'album, mais il faut avouer que le chanteur est...

le 7 juin 2012

16 j'aime