Noir Désir, chapitre 1 : « Veuillez Rendre L’Âme ( A Qui Elle Appartient) »

Formé dans les années 80 à Bordeaux avec pour membres permanents jusqu’à sa dissolution : Bertrand Cantat (guitare, chant, harmonica), Serge Teyssot-Gay (guitare), et Dennis Barthe (batterie), puis Jean-Paul Roy (à la basse dès 96), Noir Désir ne fera pas parler de lui avant très exactement…1989. L’EP de 87 « Où veux-tu qu’je r’garde? » avait beau être assez anecdotique il contenait déjà un semblant de climat pesant et un chanteur déjà au-dessus du lot qui allaient conduire à un album quasiment parfait la fois suivante : « Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient) » a, en effet, tout du classique (quasi) instantané. Premier « véritable » album du groupe, derrière son titre sombre et cynique se cache ni plus ni moins qu’un joyaux du rock français. Fine, précise, avec des mélodies soignées et toujours élaborées la guitare (dont la sonorité froide et mélodique évoque toujours un peu les premiers Cures) emporte tout sur son passage, de même que la batterie dont les martèlements presque robotiques sont, il faut le reconnaître, efficaces! A l’image du morceau d’ouverture : « A l’arrière des taxis » rapide et percutant, beaucoup de morceaux seront dans cette veine rock et rapide mais sans jamais verser dans la moindre saturation à cause de cette froideur très cold wave qui caractérise bien les années 80 (le final « The wound » ainsi que « Joey » 1 et 2 semblent s’inscrire directement dans cette mouvance).


Ainsi, il est possible de décomposer l’album en plusieurs types de morceaux : les perles rock dont les mélodies sombres et venimeuses révèlent toujours plus de saveur au fil des écoutes : « A l’arrière des taxis », « What i need », « Apprends à dormir », « La chaleur » et ses roulements de batterie redoutables. Mais il y a également les morceaux un peu plus aventureux : « Sweet Mary » où Cantat chante à cappella seulement accompagné d’un piano, les « Joey 1 et 2 » à la fin du disque où la thématique des paroles et les chœurs fantomatiques donnent l’impression de traverser des plaines désertes en pleine nuit. C’est d’ailleurs cette atmosphère légèrement morbide et nocturne qui dominera l’essentiel du disque, les paroles sombres et mystérieuses de Cantat, ainsi que cette harmonica insidieuse y seront pour beaucoup la plupart du temps : on se situe entre un bon film de fantôme et un western de qualité en terme d’ambiance la plupart du temps. « Le fleuve » est dans cette catégorie une des grandes réussites du disque et laisse déjà entrevoir une personnalité torturée de par ses paroles : « et si tu peux te perdre du côté du fleuve, il te calmera jusqu’à ce que tu ne puisses plus respirer » prononcé avec une voix d’outre-tombe a quelque chose de glaçant…la lenteur du rythme et le mystère qui émane des notes de guitare jouées comme si elles étaient lointaines au milieu du morceau achèvent de construire un édifice majestueux d’une cold-wave française méconnue.


Pour ce qui est de la dernière catégorie de morceaux…disons qu’il s’agit de ce que je nommerais les « chefs d’œuvres » et ils seront présents sur à peu près tous les albums du groupes en petit nombre jusqu’à la fin…suffisamment pour attirer un minimum d’auditeurs dirons-nous, d’autres appellent ça simplement des « singles » mais moi à ce stade je trouve ça trop réducteur comme expression. Il y a tout d’abord, et évidemment, « Aux sombres héros de l’amer » que tout le monde connait : sa ligne d’harmonica mythique, ses refrains fédérateurs et entêtants chantés en anglais, et cette classe dont Noir Désir garde jalousement le secret…tout le monde connaît ce morceau! En fait, sa mélodie est tellement aguicheuse et évidente que même si vous l’avez pas entendue, vous aurez l’impression de l’avoir toujours connue même la première fois où vous l’entendrez…bref c’est un classique imparable! Et pourtant, le groupe ne vivra pas bien ce succès à cause de cette intégrité maladive propres aux rock-stars qui voulaient rester « underground » malgré elles (Kurt Cobain es-tu là???), les gens ne relevant pas forcément le calembour autour du morceau et y voyant une bonne vieille chanson à boire pour marins (la mer au lieu de l’amer).


Le second chef d’oeuvre : « Les écorchés » n’est ni plus ni moins qu’un des tous meilleurs morceaux du répertoire de Noir Désir…c’est même presque leur meilleure chanson de mon point de vue. Tout y est absolument parfait, magistral : de la rythmique implacable, en passant par ce riff de guitare torturé et répétitif, sans parler des paroles crues et sombres de Cantat et de son chant véritablement possédé à vous foutre des frissons…le gars ne chante même plus à ce stade…il est en transe et nous y amène nous aussi bien volontiers! A noter qu’une version live, plus violente, verra le jour vers la fin des années 90 (les chœurs « White light/white heat » en référence à un album du Velvet underground y étant répétés jusqu’à plus soif de manière hargneuse). Pour ce qui est des paroles mieux vaut ne pas faire de rapprochement avec le destin tragique de son leader parce qu’il faut reconnaître que cela fait froid dans le dos autrement : « ho mais non rien de grave, y a nos hématomes crochus qui nous sauvent, nos poings communs dans les dents et nos lambeaux de peau qu’on retrouve ça et là…quand tous les coins ne cessent pas de trembler, c’est comme ça que je te reconnais même s’il vaut beaucoup mieux pour toi que tu trembles un peu moins que moi… ». La mise en avant de ces deux chef d’œuvres/singles a ceci d’intéressant qu’elle montre la facette d’un groupe de rock accessible au grand public et celle d’un groupe sombre et torturé dont le parolier semble contenir une certaine violence sous-jacente tant dans ses paroles que dans sa musique.


En tout cas, Noir Désir signe ici un excellentissime album…très très proche de la perfection qui s’apprécie et se savoure réellement et toujours plus au fil des écoutes (comme tous leurs albums en général remarque). Certaines mélodies deviennent alors peu à peu évidentes…voire indispensables (sur « Apprends à dormir » ou « La chaleur ») tandis que d’autres, déjà évidentes, ne perdent jamais de leur punch (« A l’arrière des taxis » ou encore « Les écorchés »). Noir Désir est donc d’ores et déjà une valeur sûre à suivre dans le rock Français mais daignera quand même se « saborder » volontairement avec son prochain album : « Du ciment sous les plaines » en réaction au succès de leur single marinier qui leur fera emprunter un chemin un peu plus discret…du moins pendant un petit moment.

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le 13 août 2017

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