Voodoo
7.9
Voodoo

Album de D’Angelo (2000)

[Critique écrite en 2022, jamais publiée. Le décès de D'Angelo ce 14 octobre 2025 est l'occasion d'y revenir.]


Lorsque D'Angelo sort son "Voodoo" en 2000, il est loin d'être un nouveau venu sur le terrain de chasse bien défendu de la musique noire. Son premier coup d'essai, affectueusement titré "Brown Sugar", avait quelques années auparavant pris de court les critiques en s'imposant comme une étonnante synthèse de l'histoire de la musique africaine-américaine, au point où il se vit crédité comme étant l'initiateur d'un nouveau genre, la "neo soul".


Il peut-être lourd de se voir désigné comme l'instigateur d'une nouvelle tendance. Désormais la proie des amateurs de sang frais, c'est presque naturellement que D'Angelo s'est retrouvé souffrant d'un syndrome de la page blanche, qui ne se terminera qu'à la suite d'une autre forme de création, celle de son fils, en 1998. C'est dire si la question de la paternité semblait concerner l'artiste, qui n'a cessé tout au long de la manufacture de son disque de se placer dans les pas de ses maîtres. Trouvant l'inspiration dans des heures d'écoute attentive des plus grands, allant jusqu'à reprendre leurs anciens instruments, D'Angelo puise dans la passé la force nécessaire pour accoucher d'un "Voodo" digne successeur de toute une mythologie allant de James Brown à Funkadelic en passant par Prince ou Marvin Gaye.


Nous sommes cependant loin d'être face à une simple redite de ce qui s'est déjà exprimé. C'est d'une musique toute particulière qu'est constitué cet album.


"Voodoo", c'est d'abord une oeuvre longue, très longue. Frôlant les quatre-vingt minutes, elle enchaîne seulement treize morceaux. Chaque titre semble construit à l'identique. Une progression par tâtonnements, où les mélodies s'identifient difficilement, où les limites sont vaporeuses, apparaissant et disparaissant dans une spirale de groove où seules les percussions semblent faire office de fil rouge. Des relents d'infini prennent l'auditeur et la rythmique métronomique ne fait qu'accentuer l'effet. Cela pourrait être monotone, s'il n'y avait du côté de la voix une impression de métamorphose permanente, du free jazz à taille humaine. Ça part dans un sens ou l'autre. Cela se superpose. Mais d'une certaine manière, cela revient toujours à la même place. Cela pourrait être ennuyeux et lassant (l'album ne paraissant être qu'un seul et unique morceau), mais pour peu qu'on laisse la magie se dérouler, nous serons charmés par cet art des idées fugaces et des variations évanescentes.


Néanmoins, ce qui nous vient surtout à l'esprit lorsque nous sommes plongés dans un tel album, c'est évidemment son atmosphère unique. Charnelle, lascive, brumeuse et sensuelle. De nature à exciter le corps plutôt que la pensée. Ce n'est pas un hasard si l'enregistrement de "Voodoo" se fit en parallèle d'une remise en forme corporelle drastique de D'Angelo, qui n'hésite pas à exposer les résultats sur sa pochette.


C'est qu'il joue sur un terrain dangereux. Nous connaissons l'embarras des américains blancs envers la sexualité ""des noirs"", à l'origine de tragédies fictives ("To Kill a Mockingbird") ou douloureusement réelles (Emmett Till / le massacre de Rosewood). Il est saisissant de voir que derrière cet embarras pour une chose somme toute parfaitement naturelle se cache aussi une sorte de fascination, décelable autant dans les plaisanteries que la pornographie. Mais plutôt que de se pencher sur les cicatrices et les restes de ce qui a été vécu, célébrons plutôt la liberté des artistes qui décident de pousser jusqu'au bout leurs concepts. 


"Voodoo". Quel titre approprié. N'ayant pas d'affinité particulière pour le R'n'B ou la soul, me voilà bien malgré moi pris dans les sortilèges de D'Angelo, à me faire son prosélyte. Finalement c'est bien le propre de la magie : se retrouver devant un résultat sans comprendre le processus qui l'y a mené, un peu comme un con.


Et s'étonner.

Mellow-Yellow
8
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il y a 6 jours

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