Max Roach – Freedom Now Suite – (1961)
La « Freedom Now Suite » fait partie, pour moi, de ces fondamentaux incontournables qui façonnent l’histoire du jazz. C’est un manifeste politique qui compte dans la longue lutte de libération du peuple noir. Je possède malheureusement la pochette alternative de la réédition de mille neuf cent quatre-vingts, année où je me suis procuré l’album, on y voit un portrait de Max Roach debout derrière ses cymbales.
La photo de l’original est plus intéressante et même intrigante, elle nous montre des étudiants à l’heure du déjeuner, lors du sit-in qui s’est déroulé à Greensboro, en Caroline du Nord, le premier février mille neuf cent soixante, faisant le lien entre ces événements et la « Freedom Now Suite ». Il est évidemment difficile d’aborder cet album sans s’intéresser au contexte.
L’album contient cinq pièces, que l’on peut appeler « mouvement », qui se succèdent dans une intention historique, évoquant d’abord l’esclavage, puis le jour de l’émancipation, ainsi que la lutte pour les droits civiques et enfin l’indépendance Sud-Africaine.
Voici le nom des pièces, « Driva’ Man », « Freedom Day », « Triptych : Prayer/Protest/Peace », « All Africa » et « Tears for Johannesburg ». Pour interpréter l’œuvre, Max Roach compose et siège derrière la batterie, Abbey Lincoln est au chant, Booker Little à la trompette, Coleman Hawkins et Walter Benton aux saxs ténors, James Schenck à la contrebasse et Olatunji aux percussions. L’album est enregistré fin mille neuf cent-soixante, et sort l’année suivante sur le label « Candid », qui vécut très peu de temps mais enregistra des albums absolument essentiels.
Les textes du livret et des chants ont été écrits par Oscar Brown Jr. mais la collaboration se termina avant que ne se termine son écriture, car une querelle politique sépara les deux hommes, Max Roach étant beaucoup plus radical que Brown, on pourrait imager ça en évoquant la dualité entre Martin Luther King et Malcom X.
Les deux premières pièces gorgées de blues sont véritablement magnifiques avec une Abbey Lincoln absolument bouleversante, c’est ensuite que cela se gâte, lors du troisième morceau, « Triptych », qui contient trois parties, dont « Protestation », qui déchira encore un peu plus la complicité entre Brown et Roach. En effet une controverse se fit entre les amateurs, les critiques et même les concepteurs, ce que nous venons de constater.
La pièce, en fait, est un duo entre Lincoln et Roach pendant lequel Abbey crie avec force, assez longuement, comme si elle souffrait, ce qui, il est vrai, peut mettre l’auditeur mal à l’aise. Il est probable que ce passage ait agit comme un frein sur les ventes, à l’époque. Aujourd’hui on y voit davantage l’expression artistique d’un certain « réalisme ».
Ainsi l’œuvre fait preuve de modernité, en même que d’un enracinement dans le blues, on y entend même de l’'improvisation collective, comme à la fin de « Tears from Johannesburg », la dernière pièce de l’album, qui succède au remarquable « All Africa ». Cette seconde face est donc tournée toute entière vers l’Afrique.
Un indispensable, donc.