Cinq longues années à guetter le retour du messie, après un merveilleux Newave qui plaçait la barre bien haut. Le stand-by prolongé du groupe aura eu raison de la patience collective, qui s'est peu à peu convertie en fringale dévorante. La convoitise des fans n'aurait-elle pas engendré des aspirations démesurées? Le parcours sans faute n'inspire pas la moindre défiance. Mais qu'en est-il réellement, en toute objectivité objective?

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Avant de disserter sur l'objet de ma critique, faisons une petite incursion dans l'univers de COTD (pour les intimes) que la plupart d'entre vous ne connait pas. Hé ouais, je lis en votre inculture comme dans un livre ouvert.

Au commencement était Goro Watari, mieux connu sous le blase hyper classos de Narasaki (ou Nackie). Il est l'alpha des Deepers, leur génial géniteur. On lui doit la composition des textes et des mélodies comme les arrangements, et ce depuis l'an de grâce 1991 qui a vu naître la formation. Les membres réguliers se sont succédé, tandis que des membres de session venaient prêter main forte lors des lives. Aujourd'hui encore la composition du groupe est assez nébuleuse. En dehors de Narasaki au chant et à la guitare, on peut compter Kanno en tant qu'officiel batteur et Kenjiro Murai (ex. Cali≠Gari entre autres), débarqué il y a quelques temps pour suppléer au départ de Yoshio à la basse. L'un des quelques autres individus authentiquement ralliés au clan se nomme Masaki Oshima, alias Watchman. Il a fait ses armes à la batterie chez Melt Banana, et malmène toute sorte de claviers ou percussions qui s'offrent à ses paluches. A noter qu'il participe au side-project Sadesper Record initié par Nackie. Deux autres guitares complètent la fine équipe, les manches desquelles sont fermement maintenus par Akira (de Plastic Tree) et Koji.



http://i1183.photobucket.com/albums/x465/Nekoala/cotd_band_zpsa27f9124.jpg

「de gauche à droite : Kenjiro Murai, Kanno, Watchman, Akira, Narasaki, Koji」



La musique de Coaltar of the Deepers est pour le moins versatile, et ne porte aucune étiquette particulière. On l'a tour à tour apparentée aux courants shoegaze, rock alternatif, electro-pop, ambiant, death-metal, et j'en passe. Mais elle puise dans à peu près tous les registres existants. Tout est bon pour alimenter sa fantaisie pétulante, du grind-core à la bossa nova en bifurquant par la techno. Sa seule véritable constante est la présence de guitares électriques et le recours perpétuel aux synthétiseurs. Après quinze années d'un itinéraire incertain, on dénombre une dizaine de maxi et désormais six albums (exception faite de The Breastroke, qui fait office de compilation). Le son distillé par les Deepers est tellement protéiforme que même Hiroshi Yamauchi n'aurait pu deviner son évolution. Cependant le fait est qu'ils se tiennent droit comme un phallus irrigué non-stop en plasma surfin, avec un palmarès affolant de qualité derrière eux. Fort malheureusement, le groupe n'est pas couru des foules, même en son pays qui le réserve invariablement aux petits clubs tokyoïtes. Ca n'a rien de foncièrement honteux dans l'absolu, mais ce cloisonnement tient leur talent scénique à l'écart du public occidental. De ce fait j'ai envie de crier "sa mère la teupu" sur tous les toits.

Nota Bene : Narasaki est aussi le guitariste de Tokusatsu, génialissime quator emmené par MONSIEUR Kenji Otsuki (figure emblématique du très culte Kinniku Shôjo Tai).


http://www.musicmine.com/cotd/


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Bon, et ce Yukari Telepath alors?

Narasaki le définit comme un objet d'inspiration SF, dont les morceaux couvrent des thématiques aussi contraires que "futur proche" et "civilisation avant Jésus-Christ". J'aurais grand peine à émettre un avis sur le travail d'écriture, à consonance principalement nipponne. Reste la musique. Et de ce côté il y avait de quoi nourrir quelques craintes, car le Tortoise EP paru peu avant s'est avéré bien morne. Mais finalement, des quatres pistes on ne retrouve que "Evil Line" sur l'album.


Le disque est lancé. Une introduction paisible, aux accords inquiétants, semble nous avertir d'une menace imminente. Les guitares électriques de "Zoei" ne tardent pas à vrombir avec rudesse, leur riff névrotique est accompagné de battements syncopés. Soudaine accalmie. Les cordes s'effacent pour laisser la voix androgyne de Narasaki entonner son couplet, avant de revenir à la charge sans ménagement. Quelques touches synthétiques s'invitent par moments dans l'arène. Une véritable bourrasque, qui se retire aussi précipitamment qu'elle est survenue. Le morceau suivant n'est autre que "Wipeout", apparu fin 2004 sur le grandiose Penguin EP. Quelques arrangements inédits sont perceptibles, rien qui permette d'évoquer un réel remaniement cela dit. Un shamisen entreprend timidement d'ouvrir la marche, puis le cortège de notes accélère la cadence d'un pas décidé. L'entremise d'un son venu d'ailleurs donne graduellement de l'impulsion à l'instrument traditionnel. Sans crier gare, de lourdes guitares s'abattent sur l'auditeur avec la délicatesse d'une avalanche de parpaings. S'exécute alors une ritournelle écrasante qu'on croirait commise à la tronçonneuse, et qui tranche avec le timbre doux et clair de Nackie émergeant soudainement d'une dimension parallèle. Celui-ci pousse de temps à autres des râles deathnapalméens, comme pour se joindre à la danse macabre, tandis que l'électronique profite de variations mélodiques pour s'immiscer à son tour. La guitare reprend bien vite ses droits, de pair avec l'infatigable shamisen, et l'on quitte ce vacarme avec une paire de tympans délicieusement froissés.

Dès lors, on se met à songer intérieurement : "ok, le ton de l'album est donné". Mais cette première impression va s'estomper à l'écoute des quinze pistes dans leur globalité. S'il est vrai que la plupart des morceaux fait la part belle aux grosses guitares saturées, la galette se compose tout de même d'une grande variété d'univers. Watchman se fait plaisir à maintes reprises en triturant longuement les touches de son clavier, dans un hommage revendiqué à YMO. C'est le cas sur "Aquarian Age" (dont le titre sonne comme un clin d'oeil à la série du même nom, Narasaki étant friand de japanimation), espèce de course effrénée psychédélique dans la droite lignée de "Siesta". L'accoustique massivement multijoutes côtoie des sonorités aux couleurs plus pop, à l'image de "Evil Line"... ou "Ribbon no Kishi", rock enlevé aux allures d'héritage punk, agrémenté de sifflets d'ôendan et ponctué d'un improbable carillon de fête foraine. On aura même l'insigne honneur d'une tentative shoegaze, avec "AOA". Mais on n'y retrouve pas le son lourd et puissant de "The End of Summer" et ses murs de guitares empruntés à My Bloody Valentine (dont une brillante reprise de "Sue is Fine" est par ailleurs intégrée en piste cachée sur No Thank You).

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Yukari Telepath est une pièce d'ouvrage intrigante, de celles que l'on digère un moment avant de s'en faire une opinion ferme et résolue. Les trésors de composition made in Nackie exercent un magnétisme intact, l'expérimentation est encore et toujours à la carte. Pourtant, on ne peut pas franchement parler de prise de risque. Il émane même de l'ensemble une indéfinissable retenue, un grain de folie manquant qui nous dispense des circonvolutions d'un Submerge ou du brassage "edo techno - surf thrash" de The Breastroke. Pas de panique, ce nouvel opus n'est pas d'un foisonnement hors-normes mais il parvient à renouveler le son COTD sans faillir. A dire vrai, seule la ballade endormie prêtant son nom à l'album ne m'a pas convaincu. Coaltar of The Deepers réunit une fois de plus le monde flottant et son envers.
DrunkenBastard
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le 20 févr. 2013

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