2001 Nights
8.6
2001 Nights

Manga de Yukinobu Hoshino (1984)

C'est une œuvre légendaire ! Un joyau comme il n'en scintille qu'une fois dans l'univers tous les cinq milliards d'années. La rédaction ? Subtile. Le tracé ? Sublime. C'est grand, c'est beau, c'est méritoire ; mais si je n'en avais pas pris des notes, je ne me souviendrais de RIEN. Cela, je pense, situe à quel point la légende 2001 Nights est marquante.

Point d'iconoclasme à l'œuvre. La pointe du stylo ne se situe pas ici à l'envers d'une torche ardente qui, ma rédaction achevée, s'en irait consommer et consumer l'écriture pour la consacrer à un brasier prompt à faire naître l'autodafé le plus flamboyant qui ait jamais été. Il n'empêche que 2001 Nights, ça n'a résonné dans mon esprit que comme un rêve. Un de ceux qui, dix minutes après qu'on se soit réveillé, ne vous laissent pas même une trace de souvenir incrustée dans les méninges.
Mais ma lecture, je ne l'ai pourtant pas rêvée et ce, bien que j'ai pourtant laissé défiler les pages devant mes yeux comme l'aurait fait un somnambule amorphe. 2001 Nights, c'était palpable mais ça m'est resté comme quelque chose de brumeux.

C'est une œuvre sérieuse, cela, je l'admets encore bien volontiers. Sérieux comme pourrait l'être un rapport sénatorial énoncé durant douze heures ininterrompues et lu d'une voix monocorde. «Sérieux» est un terme à même de définir ce qui émane de l'œuvre ; «Chiant» en est un autre tout aussi recevable.
2001 - c'est le petit nom que je lui donne - est un ouvrage adulte dans le ton. Adulte avec une moustache, un journal dans les mains et une veste en tweed. Il y a derrière 2001 une austérité scripturale qui, parce qu'elle s'interdit jusqu'à la moindre bribe de fantaisie, est glaciale au toucher autant qu'à la lecture. On dit que dans l'espace intersidéral, il y fait frais. Mais ce qui nous revient ici nous gèle le cœur. C'est finalement d'un regard tout aussi froid qu'on scrute ce qui se dessine et s'agence devant nous. Avec le détachement et la hauteur de vue d'un lecteur qui, finalement, se sent et se sait spectateur parce qu'il ne s'imprègne pas de l'œuvre - celle-ci étant trop hermétique pour nous convier à la noce. On scrute davantage davantage qu'on ne lit.

Au regard de la thématique et du titre, je ne vous ferai simplement pas l'offense de seulement laisser entendre à quoi la création fait ici référence. D'autant que ladite référence se poursuit au point où l'on aperçoit les empreintes marquées de son passage dans le fil du récit. Kubrick a fait des émules, c'est entendu. C'est lu, surtout.

2001 est la bouée témoin d'une époque et d'un imaginaire. On ne peut lui ôter ça. Le contexte historique en 1984, c'est encore la guerre froide. Le premier chapitre, d'emblée, nous jette les enjeux à travers la gueule pour finalement s'en émanciper bien vite. Car 2001 est un cri d'émancipation ; ici on s'émancipe et on échappe à l'emprise d'une planète devenue décidément trop petite pour supporter les aspirations des grands de ce monde. La Terre ? On s'en éloignera tellement qu'elle nous évoquera au mieux un lointain souvenir. On voyage loin, on voyage longtemps, mais on voyage à l'extérieur d'un vaisseau qui ne transporte que sa courte intrigue.

Adulte, l'œuvre l'est jusqu'à ses dessins. Tout le travail est détaillé, les visage ne daignent laisser transpirer que le sérieux qui s'en va suinter jusqu'à chaque page, tout cela est adulte. Le graphisme évoque une parenté avec les comics américains qui avaient pu se dessiner durant la même époque. Je fais là référence à un trait que j'affectionne tout particulièrement et que, pour une raison qui m'échappe, j'ai systématiquement assimilé au genre SF.
Cela en rebutera peut-être quelques uns. J'ai cru lire le mot «kitsch» pour les désigner ces petites merveilles d'esquisses. J'estime en ce qui me concerne que la technicité du dessin a périclité depuis cette période. Car vous pourrez les chercher encore longtemps ces bandes-dessinées où le trait est si pointu.

Mais avec 2001, je suis et j'essuie la matrice de Planètes à peu de choses près que le fil directeur liant ici une intrigue à l'autre s'étire de plus d'une décennie dans le meilleur des cas. Un recueil d'histoires courtes ; c'est un recueil d'histoires courtes, ce qui implique fatalement que nous n'aurons pas le temps de nous attacher au moindre protagoniste, chacun n'étant guère qu'une étoile filante au milieu d'une chronologie qui s'étendra jusqu'à des périodes lointaines et indéfinies. L'infini ne nous apparaît non plus comme lointain, mais comme quelconque dès lors où la plume qui se rapporte à tracer son étendue ne lui prête aucun dessein. Nous voyons s'agiter des masses biologiques dans l'espace. De loin, toujours.

Les considérations ici narrées sont peut-être de haut-vol, mais dans l'espace, le haut comme le bas n'ont précisément aucun sens. Pas plus qu'en ont les atermoiements de personnages qui, s'ils ont des choses à dire, n'ont pas la légitimité pour les énoncer. Là est le triste sort du personnage présenté la veille dans le récit ; on ne peut que se désintéresser de lui aussi longtemps qu'il n'aura pas su faire ses preuves auprès du lecteur. Ces choses que tu dis, toi, personnage qui n'existera déjà plus au chapitre suivant, qui es-tu pour nous les rapporter ? Pourquoi devrions-nous t'écouter alors que nous ne savons même pas qui tu es ?
Hoshino, en quittant l'orbite terrestre, se sera lui-même cru émancipé des contraintes inhérentes à une saine narration de fiction. Or, il ne suffit pas d'avoir un propos - aussi pertinent puisse être celui-ci - mais encore faut-il se trouver en mesure de nous le rapporter. Le message, sans le médiateur, ne parvient jamais jusqu'à son destinataire.

L'œuvre est paraît-il poétique, or, le lyrisme est un agrément ; on ne bâtit rien sur l'agrément, les fondations préexistent aux décorations. 2001 Nights se rapporte à l'infini en ce sens et en ce sens seulement où il n'est pas fini. La licence poétique n'excuse rien. Employée à mauvais escient, elle a même des allures de circonstance aggravante, surtout quand le contexte ne lui est pas favorable.

On ne pourra cependant que louer l'esprit fertile et visionnaire de l'auteur pour ce qui est de l'évolution technique inhérente au domaine spatial ; son travail de recherche vaut bien ici les efforts employés par certains thésards et autres spécialistes de la question. Mais ce monde spatial, ici présenté, est-il destiné à ceux qui rêvent d'espace ou bien à tous ? À moi qui les étoiles et le vide intersidéral n'évoquent rien - en tout cas rien de bon - 2001 Nights ne m'aura évoqué que bien peu de choses.

Une référence ultime de ce qui peut se faire de meilleur en matière de science-fiction mais une déception assurée pour qui chercherait une trame pour en relier les ressorts. Il est difficile de ne pas se détourner d'une histoire dont chaque personnage n'est qu'une variable éphémère dans un récit aussi froid et méthodique que pourrait l'être une équation.

Le retour des enfants d'Ozma aura néanmoins été une bonne surprise, mais, en dehors de cet épisode, les récurrences sont rares et mêmes absentes. S'il y avait un point et un seul à souligner pour ce qui est des défauts de 2001 Nights, c'est que l'œuvre ne paraissait pas se considérer comme une histoire ; plutôt comme un condensé de prétextes à mettre en œuvre une documentation étayée. Documentation qui se contentait d'être sa seule et stricte finalité.
2001 Nights n'est pas une histoire, c'est une encyclopédie romancée. Et bien mal de surcroît.

À ce jour, avec l'absence de réédition, les volumes en France s'arrachent parfois à plusieurs centaines d'euros. Ne vous ruinez pas pour si peu mais n'escomptez pas une réédition. Un regard averti suffit à reconnaître une œuvre qui ne touchera qu'un public restreint, nonobstant sa qualité intrinsèque que je m'accorde évidemment à lui reconnaître en dépit de mes ressentis.

Josselin-B
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le 14 mai 2022

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Josselin Bigaut

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