Cafard
7.6
Cafard

BD (divers) de Halfdan Pisket (2018)

Ce que j'écris pour Cafard, le 2e tome, vaut pour toute la trilogie (à savoir Déserteur, Cafard et Dansker) d'Hafdan Pisket sur son père. Cafard est selon moi la meilleure des trois BD, mais les trois forment ensemble une vraie unité.


Le tour de force de ces BD, c'est la retranscription, que ce soit par la narration ou le dessin, de la densité de la violence de la vie de James Pisket. Cette violence fouette le lecteur dès les couvertures, avec ce visage toujours plus abîmé, toujours plus marqués par les cicatrices. Mais elle ne s'en restreint pas : le dessin du héros et de ses pérégrinations suit l'évolution que laisse apercevoir les couvertures des BD.


Le trait de l'auteur évolue à mesure que l'histoire suit son cours et que son héros prend des coups (au propre comme au figuré). Ainsi, plus on avance, plus son visage se durcie et, surtout, plus le héros est soumis à la folie. Cette folie transparaît à travers de belles vignettes comme je les aime, c'est-à-dire des moments où surgit brièvement une forme d'expressionnisme presque glauque, plutôt pauvre en symboles (qui souvent m'ennuient) mais émotionnellement assez riche. Ça remue pas mal, et si ce n'était pas de la BD ce serait vraiment difficile à voir. J'aime beaucoup quand les auteurs arpentent cette crête, utilisant l'apparente innocuité d'un dessin simple pour retranscrire des choses terribles, immondes, à travers des formes subjectives, déraisonnables, qui ne représentent pas et ne symbolisent pas mais donnent à sentir et à imaginer des trucs qui secouent, des trucs pas beaux.


Le 2e tome est mon favoris justement parce que dans celui-ci l'auteur y embrasse cette approche encore davantage, ce qui me paraît assez logique puisqu'il s'agit de l'acmé à la fois de la souffrance et de la folie du héros.


Souvent, lorsque les auteurs de BD empruntent cette voie expressionniste, ou en tout cas lorsqu'ils trouent leur récit par des moments expressionnistes, ces instants occupent des vignettes plus grandes et bousculent le découpage que la BD a préalablement suivi. Là ce n'est pas le cas, ces moments expressionnistes laissant imaginer des choses horribles ne bouleversent pas le découpage, ils restent comprimés dans de petites vignettes. Ils peuvent donc surgir régulièrement dans la BD, sans crier gare, et ils perdent leur caractéristique d'événement. Ils deviennent ainsi une forme de normalité. La vie de James Pisket se double alors complètement de folie, de noirceur et d'imprévisibilité. On suffoque parfois, et c'est parfait, c'est une expérience esthétique avec une forme de radicalité vraiment réussie selon moi !

Bretzville
9
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le 7 mars 2020

Critique lue 67 fois

Bretzville

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