J'aurais voulu mettre un 7...

Ce qu'il y a de super, quand on est stagiaire en médiathèque, c'est qu'on tombe sur des œuvres qu'on a envie de lire depuis un bail sans avoir trouvé le courage de faire vraiment le premier pas. On peut parfois attendre des années, comme ça, à attendre que l'œuvre vienne à nous, on se conduit un peu comme un môme trop timide pour aborder la jolie fille qui vous fait de l'œil depuis un moment. Jusqu'au jour où elle s'impatiente.
Mais ce qu'il y a de bien, avec les bouquins, c'est qu'ils finissent toujours par venir à vous, presque d'eux-mêmes.
Je m'égare un peu.

Donc, voilà ce premier tome version BD qui trône sur l'étagère des nouveautés (plus très nouvelles) de ma médiathèque. Hop, avant que quelqu'un ne s'en empare, je l'emprunte et le fourre dans mon sac.

Comment adapter un monde aussi marquant que celui de Boterro ? L'affaire n'était pas simple, tant les fans de l'auteur ont étés touchés, dès l'enfance, par sa fantaisie et sa poésie. Personnellement, chaque livres du monsieur m'a emporté dans de fabuleuses aventures dont je constatait avec tristesse qu'elles prendraient fin bien trop tôt, bien avant que je n'en soit rassasié. Car je vous parle d'un temps (que les moins de vingt ans ♫♪) où il me fallait attendre deux bonnes années pour lire la suite de l'épopée d'Ewilan et Salim, et bordel, c'était long.
Mais assez de nostalgie, attaquons nous enfin à l'adaptation en elle-même.

Une bande dessinée, c'est du texte, c'est des dessins, et c'est un découpage en cases. On va commencer par le texte.
Nous sommes bien sûr en terrain connu. Pas de surprise niveau scénario, forcément, on reprend les mots de l'auteur. J'ai beaucoup apprécié les petits encarts reprenant très fidèlement le texte des livres, éparpillés au fil des pages... l'impression parfois d'entendre la voix tranquille de Pierre Boterro surgir d'outre-tombe pour me raconter de nouveau une histoire, une histoire que je connais déjà, mais sous une autre approche. Rien que pour cela, je remercie les auteurs de la BD. Merci d'avoir fait revivre, l'espace d'un instant, la magie de ma lecture.

Pour ce qui est des dessins, c'est à la fois très bon et parfois surprenant. Très bon car le monde de Gwenda...Gwe...(zut.), le monde fantastique dans lequel évoluent les personnages est très beau visuellement, un point important : j'ai tant rêvé d'y aller, moi aussi, dans ce monde, de faire ce "pas sur le côté", que j'attendais beaucoup du visuel. Et on y est, vraiment : la faune et la flore est loufoque, les couleurs explosent, c'est beau, le trait est très personnel, bien loin de ces BD photoshopée à mort qui m'insupportent. Un petit air de Lanfeust dans ses premiers tomes, parfois.
Bien sûr, après avoir imaginé les personnage sur quelques six tomes (9 avec la série des Elana), j'en avais une représentation très forte. Aussi certains n'ont pas manqués de me choquer. Bjorn par exemple, était pour moi un chevalier bourrin, pas bien finaud, épais tas de muscles et de graisse... et voilà qu'on me sert un chevalier aux traits bien trop féminins, encore plus maigrichon que moi-même, crinière blonde estampillée Loréal Paris ! Où est donc mon bon vieux guerrier bougon plein de crasse et d'injures ?
Edwin est, en revanche, plutôt réussi. Duom ressemble un peu trop à un magicien-vieux sage typique de la fantasy, mais après tout c'était également le cas dans les livres. Les ts'liches sont également bien foutus, ce qui est appréciable tant ces bestioles me semblaient difficiles à imaginer quand j'étais gosse...
Globalement, bien que ces personnages tranchent fortement avec l'image que je m'en faisais (les deux autres guerriers dont j'ai TOTALEMENT oublié le nom (ma lecture date quand même ! j'était petiot!), sont également bien plus maigrichons que dans mon imagination), on se laisse emporter par cette patte graphique. Après tout, on ne demande pas d'une adaptation qu'elle soit totalement fidèle, elle se doit d'apporter une vision différente... alors pourquoi pas?
Un grand plus pour le dessin, donc.

Vient ensuite le découpage de la BD, ce qui va instaurer un rythme, donc. Et c'est là que je descend ma note d'un point.
J'aurais vraiment voulu mettre 7. Pas davantage, parce que cela reste une adaptation, sans surprises, qui ne transcende pas non plus le genre. Mais pas moins, car ça reste un chouette voyage en Gwentrucmuche.
Mais ce rythme... Tout se passe vite, si vite ! Le bouquin fait des centaines de pages et nous tient en haleine un petit moment. Ce première tome de BD s'arrête au tout début du premier roman... et ça me dérange.
Une œuvre, je le répète tout le temps, a un début et une fin. Surtout en littérature. Même si on peut découper une saga en plusieurs tomes, le début et la fin se répondent, on ne PEUT PAS couper une histoire en plein milieu, même si ça sonne bien, parce que la fin a été travaillée pour être une fin, parce que le milieu du bouquin a été travaillé pour être un milieu de bouquin, et parce qu'un début de bouquin a été pensé comme un début de bouquin. Pour faire simple.
Pour moi, cette adaptation souffre du syndrome du Hobbit : on veut découper une œuvre en plein de petits morceaux, qui perdent du coup tout leur sens. Vous vous souvenez de la fin de la désolation de smaug ? Cette fin digne d'un feuilleton tv ? Ici c'est pareil. Et c'est insupportable.
Une bd pareille allait forcément marcher : les fans de Boterro auraient acheté la BD quoi qu'il arrive. Alors pourquoi ne pas en profiter pour sortir d'un seul coup un vrai premier tome, sans coupure ?
Oui, ça aurait été un travail titanesque.
Oui, la BD serait sortie plus tard.
Oui, le prix aurait été plus fort. Mais moins fort que 2 ou 3 BD pour un tome.
Et surtout, le rythme aurait été bien mieux géré. Là, on a clairement l'impression que les auteurs sont pressés par le temps. Ils doivent finir en tant de pages, et ils ne peuvent pas prendre la liberté d'en dessiner quelques unes de plus. C'est vraiment dommage, d'autant plus que cette BD est pleine de bonne volonté et était vraiment bien partie...

La faute à qui ? Aux auteurs peut être, qui ont besoin d'être payés pour vivre, et qui ne pouvaient pas se permettre de travailler 2 ou 3 ans sur un seul volume complet ?
À l'éditeur, pour une obscure stratégie commerciale ?
Quoi qu'il en soit, cette déception est assez forte pour me laisser un gout amer à la fin de ma lecture. Bien sûr, je lirais la suite... en médiathèque. Un vrai tome complet aurait été une sacrée claque, et je l'aurais surement achetée. Mais là... ce ne sont que quelques chapitres. Un peu comme ces extraits de livres qu'on peut lire sur le net avant l'achat... histoire de nous donner envie de lire la suite. Peut-on vraiment publier une œuvre dans la seule intention de vouloir faire acheter la suite aux lecteurs ?