Dans l'cochon tout est bon - Une aventure de Philibert, tome 1 par Sejy
Que j'aime le pessimisme de Mazan !
Ravages de la malbouffe, consommation outrancière, marginalité physique ou marginalité tout court, névroses en tous genres, pollution, délaissement des vieux, génétique dégénérée, et j'en passe... Autant de thèmes «sympathiques», scénographie grisâtre des aventures de Philibert. Mais, pas de craintes ! Ici, ni pleurnicherie, ni déprime. Par la forme, l'auteur imprime un ton décalé au récit. Attirant notre attention sur le héros principal, il nous détourne de l'âpreté du fond pour nous épargner la pesanteur.
Et il est bougrement attachant le gars Philibert !
Médecin légiste original, plein d'humour, et anticonformiste désabusé, on le rencontre dans le premier opus, cheminant, bon gré, mal gré, dans un monde régenté par le décorum de la «bouffetance démesurée». Dans une galerie de corps dilatés et de cellulite, on assiste à son quotidien. Il nous y dévoile un peu de sa vie et de ses états d'âme puis noue une idylle improbable avec la tendre et fragile Léa, jolie artiste-peintre anorexique et obsessionnelle...
Dans le second volet, il assiste Alcide, son commissaire de frangin, saisi d'une d'affaire de meurtres qui prend ses sources 19 ans auparavant au fin fond d'un bayou. Des crimes commis dans un golf, ancien quartier démoli de leur enfance, mais où subsiste encore la maison de leur mère, ultime résistante des riverains et témoin potentiel. C'est le prétexte à des visites répétées chez une maman pleine de manies et terriblement enracinée dans le passé...
Graphiquement, c'est somptueux. Le trait est fin, subtil et élancé, abondant en détails savamment cogités, mais toujours affranchi du superflu. J'adore m'égarer dans les rues et les atours de la ville, arrêtant mon regard sur les visages d'une foule truculente, admirant au passage les multiples façades et vitrines aux pubs, affiches et autres enseignes raffinées. Puis revenir goûter les ambiances saisissantes de ces cases aux nuances divines. Ah, cette plage désolante près de la centrale qui me fait tant envie ! Ah, ce bayou où je peux presque entendre les cris des bébés alligators et sentir l'humidité des swamps !
Le découpage est à la hauteur. Fashbacks, enquête policière à rebours, narration double, insertion de gravures ou de pages de gazette, dialogues croustillants sont quelques-uns des nombreux éléments d'une mise en scène efficace, inventive et fluide. J'ai un faible pour les intermèdes où l'on peut « fureter » dans le journal de bord intime de Philibert.
Ainsi, Mazan, dans une oeuvre au contenu somme toute sérieux, nous confie ses points de vue sur des questions d'aujourd'hui. Mais, par un habile détournement du propos et une approche mêlant humour, dérision et poésie, il maintient toute l'intensité alarmiste en arrière-plan. C'est la légèreté qui prédomine. Malgré la gravité des sujets, on se délecte du maussade, enjoué et insouciant. Ne serait-ce qu'une ruse ? Car, tout bien considéré, en nous renvoyant cette image de lecteur indifférent, il parvient à titiller nos consciences.
Une excellente série dont on appréciera les divers degrés de lecture