Dreamland
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Dreamland

Manga de Reno Lemaire (2006)

Réveillez-moi, je rêve. Je rêve d'un cauchemar atroce d'où le bon goût et l'intelligence sont purgés. Je me pince mais rien n'y fait, je suis lucide et contraint de reconnaître que mon cauchemar est de ce monde, pas de celui-ci des songes. Dreamland, un manga irréel de médiocrité dont on vient à douter de l'existence tant une pareille forfaiture tient du fantasque. Il aura fallu en avoir de l'imagination pour trouver moyen de pondre quelque chose de si exécrable. À moins de se forcer à trouver les pires idées pour en garnir son œuvre, Reno Lemaire n'a pas pu écrire cela par accident. Le crime est trop atroce pour ne pas être délibéré.
Reno Lemaire, un Français à la manœuvre d'une des pires catastrophes éditoriales de ce siècle. Mon chauvinisme en prend un coup. Un sévère. Asséné de dos, en plein sommeil. Suite au choc, plus jamais je ne rêverai.


Un contenu fantastique qui ne mange pas de pain en guise de socle d'intrigue. N'en demandons déjà pas trop. De cet univers, l'approfondissement de ses tenants ne se révélera que sous les abaissements répétés de l'auteur à creuser toujours plus profondément dans l'indignité. Le cadre dans lequel évolueront les protagonistes n'est pas fixé ; il n'y a pas lieu de s'étonner dès lors que celui-ci ne manque pas de se casser la gueule.
Bienvenue dans un monde féerique où tout est permis mais rien n'est possible. Rien et certainement pas une lecture confortable.


Du dessin, il y a peu à voir et beaucoup à en dire. D'un style à mi-chemin entre la franco-belge pour enfants et le Nekketsu le plus lambda dans lequel il soit permis de piocher, Reno Lemaire nous trace les contours du vide intersidéral. Nous pourrons toujours avoir la maigre satisfaction de pouvoir considérer que le faciès des personnage est à la hauteur de leur personnalité, ce qui déjà, en dit très long sur eux. Le respect des proportions n'est plus qu'une chimère ; sans doute est-ce là un hommage appuyé à Kuramada. La qualité graphique est absente, les décors plus encore.
Qu'il y n'ait que des manques et des carences au beau milieu du plus absolu néant n'a pas de quoi surprendre après tout.


Dreamland est le fantasme d'un rejeton digéré et excrété par le club Dorothée qui, parce qu'il a lu deux-trois Shônens, s'est imaginé pouvoir en faire autant. C'est triste à dire - pas autant que ça ne l'est à constater - mais les Shônens contemporains, même dans leur insignifiance la plus notoire, à produire des œuvres usinées et standardisées à la chaîne, ont plus de corps et d'âme que n'en aura jamais Dreamland. Quant un produit graphique en principe confondant de banalité et de conformisme dans son trait a plus de noblesse dans le dessin que ce dont Lemaire nous aura gratifié, c'est que problème il y a. Et pas des moindres.
À s'inspirer du fond du panier Nekketsu seulement, incapable même de réadapter à sa sauce ou d'innover, l'auteur trouvera encore moyen de s'abaisser au plagiat alors qu'on ne s'imaginait pas qu'il puisse tomber plus bas :



Dreamland est fort heureusement de trop mauvaise facture pour s'exporter ; le cas contraire, les procès tomberaient comme la pluie en Bretagne. De tous les vices de l'œuvre, son insignifiance fut sa plus salutaire vertu.


Fidèle à son statut de débutant en la matière, Reno Lemaire commettra toutes les erreurs à ne pas commettre pour partir sur un faux-départ. L'agencement des cases y est bien évidemment incompréhensible les premiers tomes ; les successions d'une case à l'autre étant souvent trop rapides et manquant d'étapes intermédiaires, comme un film mal monté à qui on aurait coupé une seconde sur trois. Le caractère éminemment dysfonctionnel des dialogues jouera évidemment pour beaucoup dans le sentiment de décalage à la lecture.
Comment peut-on relire des premiers chapitres aussi brouillons sans y déceler les défauts flagrants et aveuglants qui en parsèment les pages ? Qui pour trouver le début intelligible ?


La clé est dans le contact de ce vieux tacot, le moteur aura toussé d'ici à ce qu'il démarre et le bruit du moteur ne m'aura pas ravi les oreilles. Tous les signaux sur le tableau de bord clignotent au rouge alors qu'il est question d'un personnage principal maîtrisant le feu dans un monde de magie. D'emblée, je coupe le moteur et me recroqueville sur moi-même. Les Flash-backs m'assaillent ; mon pire cauchemar reprend et c'est à un compatriote que je le dois. On n'est jamais mieux trahi que par les siens.


Bien entendu, tout ce que le Shônen a de plus cliché en réservoir, Lemaire nous l'aura importé allègrement et sans remords. Amoureux des pouvoirs sans imagination, des combats brouillons, des gags lourds entre autres romances cul-cul pour adolescentes et personnages non-développés, le bonheur est à portée de main pour peu que vous vous saisissiez d'un volume de Dreamland. Chaque page est un plaidoyer pour l'autodafé ; on n'ose cependant pas jeter l'œuvre au feu, suspectant que le contenu puisse être suffisamment nauséabond pour nous terrasser sous les fumées toxiques.


Des personnalités pour les personnages ? Pour quoi faire ? Mieux vaut se contenter de quelques spasmes entre autres éructations compulsives comme peuvent en avoir certains insectes. Les antagonistes remportent la palme de la ringardise alors qu'ils feraient passer le docteur Gang pour un bijou de nuance en comparaison. De ses lectures manga - dont je suspecte la présence des pires dans sa bibliothèque - l'auteur n'en aura retiré que le plus infect de chacun ; il nous aura concocté un fugu dont il ne sera parvenu à en extraire que le poison.


Manifestement incapable d'établir des bases stables et pérennes, Lemaire nous jette Edénia au travers de la gorge alors qu'il n'aura pas même développé la plus infime partie de Dreamland. Le premier chantier n'est même pas entamé qu'il bifurque vers un second. Ne pas avoir d'imagination quand on s'embarque dans la rédaction d'une fiction constitue un problème en soi, ne pas même être foutu d'approfondir le peu qu'on puisse être capable de mettre sur le devant de la scène : une erreur rédhibitoire. Tout est laissé à l'abandon, des personnages à l'univers en passant par les pouvoirs : le niveau zéro de l'inventivité. Zéro absolu j'entends.


S'il s'en trouve encore pour espérer retirer au moins un soupçon de qualité de l'intrigue - dernier recours alors que tous les autres pans de l'œuvre sont méchamment mités - je dirai à ceux-là de s'armer de patience. Me concernant, l'intrigue, je l'attends toujours. Peut-être va-t-elle arriver d'une minute à l'autre ; il serait temps, j'ai déjà terminé les dix-neuf tomes.
Non, il n'y a pas de scénario, simplement un objectif changeant qui n'engage à rien - ou en tout cas pas à grand chose - dont la seule motivation tient à justifier l'enchevêtrement de bastons fouillis et sans intérêt.


Pour ceux qui s'imagineraient que je m'acharne, je gardais à leur intention une dernière cartouche leur étant spécialement destinée dont, même eux se sauraient se relever après coup. Le dernier chapitre est sobrement mais pertinemment intitulé «Anus» ; sa réplique de fin étant «Prout». Soumis à l'éclairage de cette somptueuse et irradiante illumination finale, il est maintenant plus simple de déterminer d'où exactement a bien pu provenir le reste du récit. L'auteur aura signé son crime au moins inconsciemment ; les scrupules l'assaillaient sans doute.


Si tant est que cela fut possible, je crois avoir trouvé pire que Fairy Tail. Néanmoins, Dreamland est hors-concours. Jamais je n'arriverais à me résoudre à considérer ce «manga» comme autre chose qu'une fan-fiction de collégien ayant malencontreusement trouvé ses accès jusqu'à une maison d'édition spécialisée dans la franco-belge. Une parodie de caricature, voilà ce qu'est Dreamland.


Hors de question de rempiler passé la fin de «L'arc Céleste» qui, comme le reste, aura volé plus bas que terre. J'ai donné. Mon attention - même fugace - portée à cette déjection graphique sans script ni ambition est déjà faire trop d'honneur à celui-là même qui nous l'aura pondue sans talent ni remords.
Pas de «cocorico» qui tienne pour la disgrâce. Dreamland, ce sera notre honte nationale ; un tabou dont on ne devra plus jamais mentionner le nom d'ici à ce qu'il ait entièrement disparu dans l'oubli, sa postérité de prédilection.

Josselin-B
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le 8 juin 2020

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Josselin Bigaut

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