Drifters
6.9
Drifters

Manga de Kōta Hirano (2009)

Une folie délicieuse... [Critique des 4 premiers tomes]

Kôta Hirano est un drôle de mangaka. Voyez ce qui figure sur les couvertures de Drifters quand il parle de ses hobbies : « harcèlement sexuel, toucher son pénis. » Parcourez les différents épilogues et postfaces, soulevez la couverture et voyez les candidats aux postes de drifters et parias qu’il propose (Elvis Presley, Steve Jobbs…), ainsi que ses commentaires. Le constat s’impose : cet auteur en tient une sacrée couche. Attention, ce n’est pas une insulte, loin de là. Il fallait sûrement un brin de folie, voire plus, pour accoucher d’un univers comme celui de Drifters. Tâchons de le présenter en quelques mots.


Prenez un monde de fantasy avec des hommes, des elfes, des nains, des gobelins, des hobbits, des dragons, des magiciens… Vous l’avez ? Ajoutez ensuite diverses perturbations liées à l’arrivée – de manière plus ou moins régulière – de personnages issus de notre monde (mais d’époques et de territoires variés) et qui vont chambouler le cours de l’histoire, pour le meilleur comme pour le pire. Bien des disparitions mystérieuses, morts suspectes arrivées sur Terre trouvent donc leur sens : les personnes ne sont pas mortes, elles ont été transférées dans un autre univers ! Par qui ? Deux personnes : Purple (un homme) et Easy (une fille plutôt jeune). Les deux n’ont pas l’air de s’apprécier et le monde de fantasy semble être un terrain de jeu, où ils envoient de nouvelles « pièces » selon leur bon vouloir afin de s’affronter indirectement et de faire avancer le cours de l’histoire.


Le monde de Drifters ressemble alors à cela :



  • l’Empire Orte est officiellement celui qui domine. Il a été construit il y a plus d’un demi-siècle par un moustachu célèbre (mais pas pour de bonnes raisons) qui s’est suicidé depuis. L’Empire est parti en guerre pour s’étendre et affirmer la supériorité de l’homme (j’ai déjà vu ça quelque part…) tout en faisant des survivants (elfes, nains…) des fermiers pauvres matraqués d’impôts ou des mineurs. Mais cette politique d’expansion tous azimuts semble l’avoir affaibli et Orte essuie différentes vagues de rébellion…

  • L’une d’elle est menée par Toyohisa, Oda et Yoichi Nasu, qui vont s’associer aux elfes (et plus tard aux nains) pour mettre un joyeux bazar dans l’Empire, le faire tomber… Ils sont plus ou moins en lien avec l’Organisation Octobre – composée de magiciens. Ces derniers surveillent et observent les Drifters car ils tentent de les regrouper afin de les faire affronter une grande menace…

  • Menace qui porte le nom de Roi Noir. Ce dernier est le chef des Parias (et autres non-humains) et il cherche à liquider tout ce qui se dresse sur son passage afin de bâtir une nouvelle civilisation.


Petit arrêt : quelle est la différence entre les Drifters et les Parias ? Les deux catégories rassemblent des individus issus de notre monde. Mais les Parias ont quelque chose en plus : ils appartenaient à notre monde (Jeanne d’Arc, Gilles de Rais, Raspoutine, Anastasia Nikolaïevna de Russie, Hijikata Toshizō, etc.) mais ils sont dotés de pouvoirs (feu, glace, fantômes…) plus ou moins impressionnants et, surtout, manifestent une envie de tout détruire, de ne laisser aucun survivant. La différence entre Drifters et Parias provient peut-être du fait que les seconds ont été sauvés alors qu’ils allaient mourir dans des conditions peu favorables (souffrance, colère, frustration, etc.). Les Drifters auraient donc conservé leur humanité, pas les Parias. Car les Drifters peuvent être violents, aiment la victoire et la conquête mais cela ne les empêchent pas d’épargner les innocents, au contraire des Parias.


Nous voilà donc partis pour un conflit a priori inégal mais qui va vite dévoiler toutes les ressources des Drifters, notamment du côté du trio Toyohisa-Oda-Yoichi qui se révèle diablement complémentaire et qui va conforter le Roi Noir dans sa volonté d’exterminer tous les Drifters. Entre Toyohisa, le leader bourrin qui coupe des têtes, Oda et son attirance pour les fusils et la stratégie et Yoichi spécialiste du tir à l’arc, les elfes et les nains ont de solides leaders, leaders qui vont attirer bien des attentions du côté de l’empire d’Orte et ailleurs… le monde de Drifters est en mouvement !


En somme il y a de la baston au programme que ce soit sur terre, dans les airs et même sur mer ! Et il n’y a pas que du propre : on tranche des têtes, les flèches sont enduites d’excréments pour infecter les blessés, on utilise les corps pour faire de la poudre et parfois on tue des personnes désarmées car coupables de viols. Autant d’éléments qui offre un dynamisme certain à la série avec des combats qui traînent rarement en longueur.


Pour autant, cette noirceur du titre n’enlève pas l’aspect délirant omniprésent, notamment via des dialogues tordants : des disputes entre Scipion et Hannibal ou entre Scipion et Kanno Naoshi (Italie-Japon) en passant par les échanges fructueux entre Oda, Butch Cassidy et le Kid à propos d’une gatling, on ne s’ennuie pas. On rit beaucoup et on ressent bien le plaisir que l’auteur prend à nous présenter son délire : les références et clins d’œil à d’autres œuvres comme à des événements historiques sont multiples. Hirano a bossé son sujet ! Un seul exemple : le Roi Noir. Ce dernier a l’apparence d’un Nazgûl tout en étant une version dark d’un Jésus qui aurait mal tourné…


Néanmoins – et pour jouer les chipoteurs – on peut repérer ici et là quelques éléments qui modèrent (un peu) le plaisir :



  • Côté dessin il faut se faire au style de Hirano et on peut repérer sur certaines planches que le cache-œil de Oda n’est pas à la bonne place (cf. début du tome 2) ;

  • Côté dialogue on peut regretter certains propos répétitifs ainsi que des insistances un peu lourdes quand on lit les quatre tomes d’une traite. Je pense ici à l’insistance sur la poitrine de Olmine et aux multiples remarques sur Saint-Germi : certes cela participe à l’humour de l’auteur (voyez ce que ramasse Jeanne d’Arc avec le Roi Noir dans les épilogues) mais c’est un peu lourd…


Quelques mots sur l’édition française : le travail de traduction est de qualité, il y a très peu de coquilles. Les couvertures sont agréables et les tomes aisés à manipuler. Des notes, en fin de volume, sont présentes pour expliquer rapidement (parfois trop) tel personnage ou telle référence du manga (titre de chapitre…). On ne se moque pas de nous.


Après Hellsing, Hirano pousse son imagination débordante un peu plus loin encore. Si le rythme de parution de Drifters n’est pas des plus élevés – mais ce n’est pas le seul manga pour lequel il faut être patient – les délires, références et le dynamisme de la série se conjuguent pour produire un résultat assez détonnant. Si vous n’êtes pas réticents à voir des personnages historiques évoluer dans un monde de fantasy et si vous n’êtes pas allergique à l’humour de Hirano alors foncez ! Drifters est une série quelque peu à part dans le paysage et son adaptation animée est attendue de pied ferme.

Anvil
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le 10 nov. 2015

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