Élégie pour une ombre - Batwoman, tome 0 par Antoine Boudet

Avant de commencer cette chronique, un petit retour sur la création du personnage s’impose. Si le personnage de Batwoman existe depuis très longtemps (tellement longtemps que j’ai la flemme d’aller chercher sur Wikipédia), mais n’avais pas été utilisé depuis quelques années. C’est le scénariste Greg Rucka qui a ressuscité le personnage dans la série hebdomadaire Infinite Crisis: 52. Écrite à 8 mains (4 scénaristes donc, si vous suivez bien), la série raconta l’histoire d’une année sans les grandes figures de l’univers DC. Profitant de cette absence, Rucka a réintroduit ce personnage dans l’univers de Gotham, en lui offrant une refonte complète. Déjà, le personnage sous le masque est une invention du scénariste ; Kate Kane. Si le nom rappelle évidemment celui de la première Batwoman, Kathy Kane, il n’en est rien de son caractère.
Kane est une fille de militaire homosexuelle, ex de René Montoya, qui a pris la cape et les talons à la suite d’évènements tragiques qui seront exposés par la suite. Graphiquement, le costume de la belle est aussi clairement différent. Réutilisant un vieux design d’Alex Ross, prévu pour la relance de Batgirl avec Paul Dini, Rucka habille sa Batwoman de noir et de rouge, un accoutrement sombre collant parfaitement à la personnalité de Mlle Kane. Au fil des épisodes, le personnage devient de plus en plus important au sein de l’intrigue 52 et marque le public au point qu’à la fin de la série, la suite des aventures de cette nouvelle venue dans la Bat-family se fait attendre. Et la suite, elle viendra après la saga Batman R.I.P., dans les pages de Detective Comics. DC décide de laisse carte blanche à Rucka sur le titre historique de la maison d’édition. Le bougre sera accompagné du grandiose J.H. Williams III, dessinateur responsable de la claque visuelle qu’est Prométhea. Artiste protéiforme et scénariste des plus talentueux, le duo ne pouvait donner naissance qu’à une petite pépite de la bande dessinée. Et c’est le cas mes aïeux, c’est le cas.

Des les premières pages, l’ambiance est plantée. L’atmosphère est sombre, violente. Le rouge nous pète à la gueule au milieu de la pénombre pour bien nous marquer du passage de Batwoman. Et puis d’un coup, une ambiance bien plus banale s’installe, pour raconter l’histoire de la personne derrière le masque. Et s’en suivra d’innombrable changements ou ruptures de style/ton à travers l’ouvrage. Et c’est un peu ce qui va donner son identité au titre et au personnage. Ça, et bien évidemment le scénario de Greg Rucka. Le bougre est un habitué de Gotham City et des ambiances sombres. Pourtant, il va donner sa propre identité à son héroïne, qui sera finalement bien plus qu’une simple Bat-personne dans la Bat-family. Et cela, il va le faire à travers différentes thématiques et intrigues. La première, qui a été largement commentée par pas mal de gens qui ne savent pas trop de quoi ils parlent, est l’homosexualité assumée de l’héroïne. Jamais prétexte et traitée intelligemment, l’orientation sexuelle de Kate Kane est un élément à part entière du personnage sans pour autant vampiriser le discours. Son traitement est fait avec banalité, jamais souligné, si ce n’est par les réactions des personnages l’entourant. Mais au delà de ça, c’est toute la mythologie et le passé que va forger l’auteur autours de Batwoman qui va en faire sa force et sa singularité. Tout en réutilisant ce qu’il avait écrit dans Infinite Crisis: 52, Rucka invente, brode et construit son personnage avec une fraîcheur et une nouveauté qui fait très plaisir à voir, à une époque éditorial ou DC essayé de faire sans cesse revenir d’anciens personnages. Le premier arc est ainsi une leçon d’écriture, à la fois thématique mais également en terme de rythmique et de pur récit, tout comme le second s’impose comme une brillante origin-story.
Après un premier arc brillant, qui pose les base de l’univers de BW avec une nouvelle méchante intimement liée à Kane (liens qui sont exposé petit à petit au fil des épisodes), le second arc revient carrément, grâce à la fin du premier, sur les origines du pourquoi du comment de Kane en Batwoman. Un arc «origin» donc, mais uniquement dans l’intention, dans le sens où Rucka évite toutes les maladresses de ce genre d’exercice. Déjà, le lien qu’il fait entre tous les éléments de son début de run est remarquable, et en plus l’histoire de Kane est des plus tragique, surprenante et surtout inattendu, se jouant des codes «habituels» de ce type de récit et du cortège d’absurdité qu’il peut trainer depuis le temps qu’on raconte sans cesse les débuts des super-héros les plus connus.
Un boulot assez grandiose de la part du scénariste, faisant preuve d’un talent indéniable pour l’écriture et la gestion du rythme. Un boulot quelque peu masqué par un plus grand génie, le plus grand de tous, J.H. Williams III !

Car faut pas se le cacher, le plus gros du boulot, ce qui marque et sublime à la puissance 1.000.000 un scénario déjà grandiose (donc autant vous dire qu’à ce stade là, ça fait beaucoup de chiffres), ce sont les dessins. J.H. Williams III, que l’on connaissait pour être l’auteur de cette grande façade dans la tronche qu’était Promethéa, fait preuve d’une maitrise incroyable de son art. Le m’sieur est à la fois solide dans sa narration, tout en expérimentant sans cesse et en poussant à l’extrême les limites de son découpage et de son jeu sur les formes. Le tout étant d’une fluidité incroyable, le sens de lecture coulant toujours de source. L’artiste joue avec tous les codes du 9ème art, la forme de ses cases, les transitions de couleurs, le jeu sur la symétrie… Son travail est d’une richesse ahurissante, autant dans son boulot sur la narration que dans la qualité même de ses dessins, d’une beauté incroyable, changeant de style avec une aisance et une simplicité hallucinante, chaque personnage ayant un style, chaque ambiance ayant un style, chaque page étant unique, chaque geste important mis en avant… Dessinateur des deux premiers arcs (Elegie & GO), le dessinateur s’impose comme l’un des meilleurs dessinateurs de sa génération, tout simplement.
Donc forcément, le troisième arc dessiné par Jock (et Scott Kolins pour les dernières pages) est quelque peu en dessous. Les dessins sont forcement moins flamboyant, mais Jock s’en sort avec les honneurs en livrant des planches très efficaces, jouant plus sur la couleur que le style pour séparer cette histoire mettant en parallèle deux enquêtes différentes, l’une suivie par Batman et l’autre par Batwoman. Ce parallèle est fait via les couleurs donc, et via quelques planches jouant sur la symétrie, à l’image de quelques splash pages ou du dénouement final. Sans livrer un travail aussi marquant et riche que ce cher J.H., Jock offre un très joli travail avec The Cutter. Des épisodes très bien écrit par un Rucka peut-être un peu moins en forme qu’au début, livrant une histoire maline et intelligente quant au parallèle à faire entre Batman et Batwoman, mais qui manque un peu d’intensité par rapport aux premiers épisodes. Un arc d’ailleurs oublié de l’ancienne édition de Panini Comics. Une grave erreur, pas mal d’éléments utilisés dans la nouvelle série sont dans cet arc, heureusement réparé par Urban Comics.

L’osmose entre le scénario de Rucka et les tableaux (parce qu’on a atteint le stade au dessus de « dessin ») de J.H. Williams III est proprement dingue, livrant une bonne grosse claque dans la gueule du lecteur qui n’en demandait pas tant. Plus qu’un simple « spin-off féminin » de Batman, Batwoman a sa propre identité et son propre univers qui, en peu d’épisodes, nous a déjà marqué. Un petit chef d’œuvre de DC Comics qu’il serait très, mais alors très, mais alors trèèèèèèès dommage de rater.
AntoineBigor
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Créée

le 11 sept. 2012

Modifiée

le 11 sept. 2012

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Antoine Boudet

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SlyJock
7

Une Batwoman qui jouit sans penser à Batman.

Voilà une belle renaissance de Batwoman, le chef-d'oeuvre de Williams et Rucka respire de fraicheur et de crédibilité, avec une excellente histoire et de magnifiques dessins la belle se procure une...

le 25 août 2012

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