On le sait, les Américains raffolent de Gojira, ou plutôt de Godzilla, tel qu’ils l’ont rebaptisé.

(Mais qui ne raffole pas de Godzilla ?)

Alors que la large série de films japonais est quasiment invisible chez nous, chaque nouvelle incarnation à la sauce US du grand lézard géant est un véritable phénomène, accompagné par un raz-de-marée médiatique.

Pourtant, ce beau grand pays qui aime tant ce qui se fait ailleurs pour mieux se le réapproprier, champion de l’appropriation culturelle, n’a pas attendu le film de Roland Emmerich en 1998 pour s’accaparer un monstre qui, ironiquement, est le résultat d’expériences atomiques américaines. Godzilla avait déjà été repris dans d'autres médias.

Dans les années 1970, peu de temps avant le cartoon d’Hanna-Barbera et de son bien vilain monstre, Marvel Comics publie ainsi une première ligne de comics, tout simplement nommée Godzilla King of the Monsters. La série connaîtra une vingtaine de numéros, la grosse bête rencontrera au fil des épisodes les héros Marvel, dont les Fantastic Four ou les Avengers, avant que les droits ne passent entre les mains de l’éditeur Dark Horse Comics dans les années 1980. Depuis 2010 c’est maintenant IDW qui a utilisé le personnage dans de nombreuses mini-séries.

En France, ces aventures sur papier du grand reptile sont restées inédites. Panini Comics publie tout de même du contenu de Dark Horse Comics en 1998 dans le Génération Comics n°1, Hachette édite Godzilla Awakening en 2017, et c’est bien peu.

Heureusement, depuis 2021 l’éditeur Vestron s’est lancé dans l’adaptation de plusieurs mini-séries de Godzilla. L’éditeur est spécialisé dans ce créneau des déclinaisons papier de grandes séries, on peut trouver dans leur catalogue aussi bien les Transformers, Terminator, Evil Dead, G.I. Joe, les Power Rangers et bien d’autres, avec quelques surprises.

Le tome en question, Rage Across Time, contient la mini-série du même nom publiée en 2016, dont la particularité est de retrouver le grand reptile à différents moments de l’histoire, révélant même son implication dans certains événements humains, telle que l’invasion des Mongols dans le Japon féodal, l’épidémie de peste du Moyen-Âge ou lors de la traversée des Alpes par Hannibal. On peut s’amuser de ce Godzilla globe-trotter assez peu discret, un peu partout, même si les épisodes manigancent pour lui garder un peu de son secret et de son mythe.

Godzilla reprend son allure telle que vue dans le bon cru du Godzilla de Gareth Edwards sorti en 2014 avec son allure massive, sa crête dorsale spinescente et les origines présentées dans le film. Il ne s’agit plus d’un reptile qui aurait muté, mais d’une créature légendaire voire divine, une force de la nature qui ne serait plus ainsi la création indirecte des actions de l’homme.

Les cinq épisodes sont indépendants, chacun est consacré à une époque, scénarisé et mis en images par une équipe créative différente. Il s’agit donc plus d’un recueil d’histoires courtes, permettant de découvrir Godzilla dans des environnements différents. Ces petits concentrés sont parfois tellement intéressants qu'ils auraient pu développer d'autres mini-séries et il est parfois frustrant d'avoir ces histoires courtes aussi rapidement lues qu'une autre prend la suite.

En une vingtaine de pages, il faut donc aller vite, et dans certains épisodes on peut sentir une légère précipitation, mais le résultat est globalement assez réussi. Les hommes sont confrontés au passage de ce grand reptile, parfois tentent d’en prendre le parti, rappelant que Godzilla est une créature sans commune mesure, qu’on ne peut pas apprivoiser ou exploiter. Dans le deuxième épisode, ce sont les Dieux de l’Olympe, devenus arrogants, qui feront les frais du passage du reptile.

Chaque épisode convoque un nouveau dessinateur, chacun avec sa petite patte, et l’ensemble se révèle de bonne qualité, malgré l’absence de grands noms. Si ce sont des débutants, alors on ne peut que leur souhaiter une bonne carrière, déjà bien lancée. Le premier épisode dans le Japon féodal est dessiné par Matt Franck, qui reprend ainsi certains codes artistiques japonais dans un mélange entre le comics et l’illustration japonaise très réussi. Une autre belle prestation est celle de Pablo Tunica pour l’épisode dans les Alpes, avec un visuel très européen, offrant une atmosphère presque mystique de ces montagnes.

Et malheureusement l’album se termine par un cinquième épisode catastrophique, qui vient baisser d’un sévère cran la qualité appréciable des précédentes pages. Cet épisode se déroule pendant le Cétacé, où les monstres mythiques de la série se tapent dessus, dans un amas grotesque de cases mal dessinées et confuses, dont il est parfois difficile de savoir qui est qui. Le point de vue humain en est absent, à part deux pages complètement surréalistes avec des extra-terrestres au look de vieille série B des 50’s qui emmènent des hommes préhistoriques à cette époque. L’épisode ne raconte rien ou si peu, c’est une grosse baston peu digeste, un naufrage, quel drame. Vestron aurait dû fournir la paire de ciseaux pour offrir la possibilité de découper ces vilaines pages.

Dommage. Mais le reste de l’album offre un agréable divertissement pour un produit dérivé d’une telle licence. Les différents auteurs impliqués proposent un voyage dans le temps considérant Godzilla comme une force de la nature, menace ou alliée involontaire des petits conflits entre humains et même des Dieux. L’ensemble « 1 épisode, 1 époque, 1 équipe créative » fonctionne bien, en dehors donc de ce dernier épisode dont on se demande encore ce qu’il fait là.

Vestron a continué sur sa lancée avec un autre titre, Godzilla in Hell, promettant un Godzilla mort et envoyé aux Enfers... Pas ouf. Mais Godzilla : The Half Century War est lui une belle réussite scénaristique et visuelle grâce à James Strokoe. Le grand reptile muté s'est donc trouvé une place sur nos étagères françaises, à voir si tout le contenu proposé sera de la même qualité.

SimplySmackkk
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le 15 août 2023

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