Après la reconstruction de Gotham suite aux événements de No Man's Land, le commissaire Gordon se fait abattre par un policier véreux. Ayant survécu de justesse, il décide de prendre sa retraite et de laisser la place à du sang neuf. C'est donc la nouvelle police de Gotham, répartie en deux équipes que l'on suit à travers le récit des scénaristes Ed Brubaker et Greg Rucka, enrichie du dessin minimaliste de Michael Lark.
On suit donc les différentes équipes de flics. Des flics, des vrais. Des flics avec leurs problèmes personnels et leur rivalité inter-services. Des flics confrontés quotidiennement à la corruption, aux trafics en tout genre, mais liés par un esprit d'équipe. Un polar normal dans un décor classique. A un détail près. Sur le toit du bâtiment se trouve un puissant projecteur. Ce signal, à n'allumer qu'en cas d'extrême urgence, lorsque la situation dépasse les compétences des forces de l'ordre, projette l'ombre symbolisée d'une chauve-souris géante dans le ciel de Gotham. Dans une ville pourrie, dans la grande métropole gangrenée de l'intérieur, où des maniaques aussi inventifs que désaxés se chargent de semer le chaos, le Batman rend une justice implacable, parallèlement à celle de la police. Et pour cause : ce n'est pas uniquement avec des malfrats "classiques" que la police doit composer. Le Batman est arrivé avec son lot de détraqué jurant de venir à bout de la chauve-souris.
Le récit est à des années-lumière d'une vision manichéenne super-héroïques que l'on peut retrouver autre part dans l'univers DC. Gotham, ce n'est pas Metropolis. La relation que les forces de l'ordre entretiennent avec Batman est décortiquée. En n'intervenant que très sporadiquement dans la vie du commissariat, on comprend vite la complexité de la relation qui existe entre le héros et la police. Son ombre plane au-dessus des gardiens de la loi. Certains savent qu'il est utile mais le voient comme un criminel de plus. D'autres rechignent à lui demander de l'aide car c'est admettre que la police est impuissante. Une minorité enfin sait qu'on ne peut pas faire comme s'il n'existait pas. Le signal du toit est là pour le rappeler :
- Et croyez-vous vraiment que je pourrais empêcher le Batman de s'en mêler, même si on ne lui demandait pas d'aide ?
- Je l'ignore. Probablement pas. Mais faites-lui au moins comprendre ce que ça nous fait d'avoir à allumer ce putain de signal !
Grâce aux talents scénaristiques des géants Brubaker et Rucka, Gotham Central est une série policière ombrageuse qui nous plonge au coeur du commissariat principal de la ville. Exit les plan de domination mondiale et les gadgets sophistiqués. Gotham Central garde l'essentiel et montre avec brio comment les criminels agissent avant tout sur les sentiments, jouent avec les nerfs pour détruire le système de l'intérieur. La corruption est partout à Gotham.
Pour finir, on dira que Gotham Central, à travers des thèmes récurrents et très actuels, arrive à insuffler un vent de fraîcheur dans le récit super-héroïque tout en faisant honneur au matériel d'origine. Une belle façon de fêter les soixante-quinze ans du chevalier noir. Comble du pratique, une frise chronologique, ainsi qu'une galerie de portrait permet de replacer l'histoire dans le contexte et de bien comprendre qui sont les personnages principaux. Une initiative qu'on aimerait voir apparaître au début de chaque comics.