Habibi
8.1
Habibi

Roman graphique de Craig Thompson (2011)

Je préférais "Blankets"...

Dans "Blankets", Craig Thompson revenait sur un amour de jeunesse qui le hante encore, sur son enfance chrétienne au sein de la Bible Belt, sur la mauvaise conscience qui accompagne sa découverte de la sexualité. Tout cela avec une grande intensité, et une position qui choisit l'ambivalence, le porte-à-faux et qui est ce que l'on peut admirer de mieux chez les auteurs d'inspiration chrétienne (j'insiste sur le "d'inspiration").

J'avais beaucoup moins apprécié "Un Américain en balade", trop marqué par l'auto-apitoiement de l'auteur après la perte de sa muse et un hédonisme tirant vers le laisser-aller. "Habibi" m'a intrigué et suscite en moi des réactions contradictoires.

L'histoire se passe dans un pays imaginaire du Moyen Orient, à notre époque, même s'il y a encore de l'esclavage, des harems et du sous-développement. Nous suivons deux enfants qui deviennent adultes : Dodola, une jeune fille qui raconte des histoires, et Zam, enfant-esclave qu'elle a délivré.

La narration est découpée en chapitres, au sein desquels alternent l'histoire principale et des légendes liées à la Bible ou au Coran, voire des excursus de numérologie arabe (voir les notes en fin de page). Des interpages aux motifs arabes fort beaux forment autant de prétextes à la méditation.

Cette recherche esthétisante ne se marie cependant pas toujours bien avec le style graphique adopté pour les personnages. En gros, le style de Thompson me rappelle celui de Will Eisner : un hybride de réalisme et de cartoon, qui je trouve passe mal quand on veut aborder un récit tragique.

Car l'histoire de "Habibi" n'est pas à lire un jour de cafard. L'univers y est sombre, les personnages étant perpétuellement frustrés ou trompés par leurs désirs. De nombreux personnages secondaires incarnent diverses formes de déchéance morale, la plus courante étant la lubricité la plus veule. Je n'entrerai pas dans les détails, mais le milieu du livre est tellement déprimant que j'ai songé un moment à laisser tomber.

Et j'aurais eu tort, car la fin est fort bien menée. Après les retrouvailles de Zam et Dodola, on se rend compte que le récit est tout à fait bien construit. Thompson introduit des motifs (tant narratifs que graphiques) pour ensuite les développer, les expliquer, les réutiliser intelligemment, et les dernières pages sont bluffantes.

Ce livre me faisait m'interroger sur le devenir de Thompson en tant qu'auteur. "Blankets" était un livre tellement personnel, destiné à exorciser le passé, qu'on pouvait se demander si l'auteur arriverait à faire autre chose. "Habibi" reprend toutes les préoccupations de l'auteur : approche torturée de la sexualité, idéalisation de l'autre, dégoût de la corruption morale, nostalgie de l'innocence perdue (tiens, mis ensemble on dirait le portraît d'un auteur fasciste ^^). Et en même temps c'est autre chose. Nombreuses sont les surprises qui attendent le lecteur au détour des pages (le livre se lit vite).

Il reste une petite chose qui me retient chez Thompson : OK pour l'ambivalence vis-à-vis de la foi, mais parfois certaines remarques sont délibérément grossières ou scatologiques. Je comprends le malaise lié au corps, mais je ne vois pas ce que ces traits rageurs de grossièreté apportent au message.
zardoz6704
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le 3 juin 2012

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zardoz6704

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