C'est l'histoire d'un type qui joue au Go, mais on ne voit jamais la moindre partie de Go

Si d'aventure on me présentait un manga sur le football, je m'attendrais à voir dessinés tôt ou tard une cage avec des filets, un ballon rond blanc et noir et deux équipes de onze joueurs chargés de mettre ledit ballon dans les filets. Ce portrait brossé, représentez-vous à présent un manga de vingt-trois tomes sur le football où, à aucun moment, vous ne verriez un but, un joueur taper dans le ballon, un coup franc, un hors-jeu ou que sais-je encore inhérent à ce sport.
Hikaru no Go se veut impressionnant en ce sens où, ne parlant que de ce même jeu de plateau qu'est le Go du premier au dernier volume, n'est pas parvenu (n'a même pas essayé à vrai dire) de m'apprendre quoi que ce soit sur le Go.


On sait que tel personnage a gagné une partie car son adversaire admet la défaite mais, à aucun moment vous ne saurez comment la victoire a été possible. Jamais, à aucun instant donné, on ne nous décrira un semblant de tactique ou de stratégie. L'idée ? Représenter le joueur en train de placer une pierre sur le goban (plateau sur lequel se joue le Go) en contre-plongée afin de ne pas savoir exactement où il la place, cela, de manière répétée avec, en toile de fond, un ou plusieurs commentateurs pour nous spécifier que cela est impressionnant. Le lecteur ne peut que les croire sur parole car n'aura pas accès au goban et encore moins aux clés de lecture permettant de comprendre en quoi une stratégie est audacieuse ou non. Du Go, nous n'apprendrons rien. RIEN ! Nous serons simplement mystifiés par le récit qui l'entoure, mais jamais nous n'aurons accès à ce qu'il se passe sur le goban.
Quand on sait que l'aventure se poursuit sur vingt-trois tomes sans dévier de sa thématique, on peut parler de prouesse. Mais je ne vous parle pas du genre de prouesses que l'on loue ; plutôt de celles qui vous navrent.


Si ça se trouve, ils jouaient aux dames depuis le début et nous n'en savions rien. C'eut été un revirement scénaristique fabuleux.


Mais une fois cette considération mise de côté (à savoir, la thématique même du manga), qu'avons-nous pour nous sustenter ? Une incursion dans le milieu de la compétition du Go amateur et professionnel au Japon. Très bien documentée. D'ailleurs, le coup de crayon - qui ira en s'améliorant - de Takeshi Obata y est pour beaucoup dans l'intensité donnée à chaque scène. Puisque le fond est absent, ne reste que la forme pour jouer avec la tension. Le futur dessinateur de Death Note se fera les griffes avec une première œuvre basée sur un semblant de psychologie et, du bout de sa plume, en extraira jusqu'au dernier zeste de passion.
Quitte à ne pas être un manga sur le Go, Hikaru no Go aura au moins le mérite d'être un manga sur le milieu du Go. Un reportage en immersion avec son lot de drame de basse intensité pour garder le lecteur éveillé.


Peu de personnages dignes d'intérêt au final. Beaucoup seront d'ailleurs éludés les uns après les autres au fur et à mesure que le personnage principal montera en grade et en compétence. Ses amis du club de Go ? Très vite oubliés, avec quelques retours sporadiques pour nous rappeler qu'ils existent. Ses camarades Insei ? Laissés au second plan une fois immergés dans le monde des professionnels. Les grands rivaux du tenant du titre japonais (notamment Ogata, gros gâchis de l'avoir laissé sur la sellette) ? On n'en parle plus d'un jour à l'autre alors qu'ils sont tout désignés pour être les antagonistes de demain.
La seule fois où l'auteur réussira à donner du corps à un personnage secondaire, cela s'avérera accidentel. Je fais référence au personnage d'Isumi qui, lors de l'arc de l'examen pour passer professionnel, gagnera un succès absolument inattendu, écrasant et mérité. Les sondages de popularité de l'année éditoriale incorporant cet arc en feront le personnage le plus aimé des lecteurs (onze-mille votes), devançant largement le second (quatre-mille votes). Son personnage, apparaissant à nouveau quelques temps plus tard, sera totalement écorné et trahi au point d'en devenir minable et anecdotique. Aucune application réelle de ce côté là.


Que l'on soit privé des matchs de Go est déjà un gros point noir, que la difficulté soit tant laissée de côté constitue un rien de sel versé sur la plaie ouverte. En deux ans, le personnage d'Hikaru atteindra le rang de professionnel reconnu par les meilleurs joueurs du Japon en partant du niveau zéro. Allonger la chronologie du manga en en profitant pour développer en parallèle quelques personnages secondaires n'aurait pas été une mauvaise idée afin de mieux faire passer la pilule et d'épaissir l'étoffe du manga.


Au final, la narration demeure le seul attrait véritable de l'œuvre. Une belle coquille chromée dont l'intérieur est résolument et désespérément creux. Le gros des affrontements ne s'avérera au final qu'être un festival de commentaires de PNJ garnissant des parties dont, nous, lecteurs, sommes impitoyablement exclus. Il parait qu'un joueur piège l'autre. Il parait qu'un autre aurait fait une erreur et qu'il l'aurait rattrapée brillamment pour la retourner à son avantage... c'est ce qu'il se dit. Seulement, la preuve sur le goban, jamais nous ne l'aurons. De quoi alimenter une longue série de frustrations. La narration et l'agencement des planches sont si bien foutus qu'on aimerait justement constater par nous même à quel point la partie narrée est véritablement palpitante. Juste histoire de nous expliquer quelques coups au moins. De nous enseigner des rudiments de tactique, de stratégie... de parler véritablement de Go dans un manga de Go.
À la place, nous aurons les chroniques maladroites de l'homme qui a vu l'homme qui a vu le goban.


Si l'on se concentre sur les péripéties du personnage principal (un jeune collégien suivi par l'esprit d'un des plus grands joueurs de Go d'il y a plusieurs siècles), la relation entre les deux s'avère relativement superficielle jusqu'à ce que les tenants et aboutissants de la présence de l'esprit sur terre ne commencent à entrer dans l'équation après la première moitié du manga, pour un temps très restreint seulement.


Le fantôme de Saï sent qu'il va être temps pour lui de partir. Ça lui prend comme une envie de pisser. On ne sait pas trop pourquoi ou comment, l'explication n'aura hélas rien de vraiment convaincante ; puis, il disparaît. S'ensuit un court arc émouvant où Hikaru partira en vain à sa recherche, mais ce maître spirituel sera finalement très vite sorti de l'équation et oublié. On était en droit d'en attendre plus autour de la trame concernant son incarnation auprès d'Hikaru. Il y a fort à parier que l'auteur avait entamé cette idée de fantôme sans trop savoir où cela la (c'est une auteur) mènerait. Sans doute avait-elle sous-estimé le succès que pourrait avoir son manga.


Si vous aimez l'adversité et les confrontations psychologiques de très basse intensité, c'est à essayer. La forme vaut son pesant de cacahuètes, le fond ne suffira pas à rassasier. Le manga aura au moins eu le mérite d'aiguiser les griffes (et les crayons) de Takeshi Obata pour le doter d'une style plus abouti et mature qui saura contribuer à la notoriété future d'un des plus spectaculaires manga du milieu des années 2000.
À ne pas rejeter du revers de la main donc, mais à prendre du bout des doigts seulement.

Josselin-B
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le 10 déc. 2019

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Josselin Bigaut

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