Vous avez vos papiers ? Et quelques billets...

« Est-il bon, est-il méchant ? Cynique ou, au contraire, démystificateur ? A-t-il découvert et démasqué la réalité politique, de même que Marx est présumé avoir décrypté la société ? Il n’a rien fait de cela, mais beaucoup plus et infiniment moins […] » Les mots que Paul Veyne consacre à Machiavel (cf. sa préface à l’édition Folio du Prince et autres textes) s’appliquent – en partie – à Kurokôchi, la terreur de la seconde brigade d’intervention. Le visage mal rasé, l’imper’ jamais loin, un sourire aux lèvres quand il prépare un coup… Inspecteur Kurokôchi c’est d’abord une gueule qui ne passe pas inaperçu dans le paysage.


Pourtant, dès les premières pages un autre élément – complémentaire – se présente. Que serait Kurokôchi sans un scénario qui tient la route ? C’est le deuxième point fort de la série. Le déroulement est parfaitement orchestré et les histoires traitées dans le premier volume vont rapidement se nouer entre elles pour nous conduire gentiment vers quelques gros dossiers allant au-delà des pratiques pas très nettes du côté de la police japonaise. La toile est tissée et nous permet de voir comment vont se débattre l’inspecteur et Shingo Seike, un administrateur de la première brigade qui fait équipe avec Kurokôchi.


Le procédé est classique (découvrir un personnage par les yeux d’un autre qui sera, le plus souvent, jeune, inexpérimenté… bref qui doit apprendre les « choses de la vie » avec son équipier de fortune ou d’infortune…) mais il bonifie le récit : Seike fait office d’observateur privilégié pour nous dévoiler un peu plus Kurokôchi, sa voiture de sport italienne (dont la marque a gagné en Malaisie le week-end dernier), sa maison de rêve où il n’y a que du Coca à boire… Comme Kurokôchi le dit lui-même : son salaire ne lui permettrait pas un tel train de vie. Alors comment fait-il ? Ce sont les petits (ou gros) cadeaux qu’il reçoit qui lui permettent de boucler ses fins de mois.


Le lieutenant ne fait donc pas partie des personnes recommandables mais ou verra que i) non seulement il n’est pas le seul à contourner, jouer avec les règles du jeu ; ii) d’autre part, tout ceci n’est que du menu fretin par rapport aux vrais objectifs de Kurokôchi qui vise le haut du panier niveau méfaits ; iii) si bien que le personnage n’est pas un vulgaire ripoux à la recherche d’argent. Anti-héros non revendiqué, le lieutenant a des aspects sympathiques sans que ses « bonnes actions » n’effacent ses petits (et grands) travers quotidiens. De toute manière les personnages honnêtes sont rares, si bien qu’on peut se demander si Seike ne finira pas lui aussi par succomber au côté obscur.


On ne voit pas la vie en rose dans le manga. D’ailleurs on peut noter que chaque titre de chapitre évoque une couleur (noir, vert, gris, rose, or…), certaines revenant avec plus d’insistance que d’autre (le Rouge et le Noir…). Outre une petite plongée du côté de la criminalité en col blanc (avec une grosse pensée pour les travaux de Edwin H. Sutherland) vous apprendrez à craindre l’Assemblée du cerisier, une organisation secrète qui a été fondée suite à un événement célèbre : le vol des 300 millions de yens ! Après Montage, voici donc un nouveau manga qui explore cette affaire et ses conséquences. Où l’on verra que fonder une organisation avec un objectif louable ne protège pas contre des évolutions qui la conduise à étendre ses tentacules sur le monde de la police et au-delà, pour servir des buts peu recommandables.


Le manga pose alors des questions importantes : est-ce qu’il faut être pourri pour réussir ? Pour résoudre les affaires ? Le passage par la case de l’illégalité est-il obligé lorsque l’affaire implique des individus hauts placés ? C’est aussi ce qui se joue entre Seike et Kurokôchi, au-delà de la mise en lumière des failles et limites du système. Un système policier dont l’organisation est loin d’être simple, aussi la lecture de la fin du tome 2 est requise, pour bien comprendre qui fait quoi (et plusieurs lectures ne seront pas de trop !).


Un mot sur le dessin : Kôji Kôno produit un travail où une certaine exagération dans les formes apparaît. Une certaine caricature en somme, qui donne vie aux personnages, une présence qui permet de les mémoriser plutôt rapidement. Si le résultat n’est pas toujours parfait, le dessin ne dessert en aucun cas le scénario. Il le complète bien et ne nous donne pas envie d’imaginer à quoi ressemblerait Kurokôchi, Echigo, Seike, Sawatari… si un autre mangaka était au crayon.


Chassez l’inspecteur Derrick de votre mémoire ! Avec Inspecteur Kurokôchi Komikku revisite la fonction pour le meilleur ! Les retournements de situation et les mines de Kurokôchi sont impayables. La fin du tome 1 et celle du tome 2 sont d’ailleurs des modèles en la matière. Bref, il vous attend...

Anvil
8
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le 26 juin 2015

Critique lue 325 fois

Anvil

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