Critique de Stéphane de AAAPOUM pour les Inrockuptibles

La bande dessinée aimerait bien se défaire de son statut d'adolescente des arts. Et dans sa quête de reconnaissance, elle s'emploie désormais à un nouvel exercice : la sacralisation de sa propre histoire. La Véritable aventure des éditions Futuropolis confessée dans l'intimité par Florence Cestac, celle, foutraque, du magazine Métal Hurlant vu par le prisme du cadet de l'équipe Serge Clerc, ou la biographie du précurseur américain Windsor Mac Cay reconstituée amoureusement par un scénariste et historien du neuvième art (Thierry Smolderen)… Les projets abondent et devraient, de prime abord, enthousiasmer peu, tant le sujet de l'histoire de la bande dessinée n'est pas à proprement parlé une question édifiante. Il s'avère néanmoins que ces projets tiennent parfaitement la route, portés par la sincérité et l'affection profonde des auteurs pour leur objet d'étude. Il n'est donc pas étonnant qu'au royaume de l'affectivité et de la loyauté, Je voudrais me suicider mais je n'ai pas le temps s'inscrive parmi les essais les plus réussis. Il n'y a guère meilleur que Jean Teulé, sensible parmi les sensibles, pour parler des êtres à portée de son regard, les incarner en quelques mots et deux trois tableaux éternisés par la mémoire de ce vieux journaliste écrivain.
Avec Florence Cestac, ils ont décidé de rendre hommage à ce comparse hors-norme, « bigger than life », qu'était Charlie Schlingo, auteur comique et bateleur déglingué dont beaucoup disaient qu'il était l'un des rares, sinon le seul, à être dans la vie à la hauteur de ses bandes dessinées. Teulé, pour qui tout est souvent affaire de codépendance, enfante dès les premières pages un monolithe dont les moteurs de l'autodestruction paraissent parfaitement lisibles, lente déchéance d'un garçon non désiré et handicapé qui aura associé (la fameuse codépendance) la découverte la souffrance physique -des opérations chirurgicales- à celle de la lecture de bande dessinée.
Amicale et documenté, la biographie de Schlingo est édifiante. A cause de sa figure centrale, déjà, qui se jette sous les roues des camions pour faire des blagues, invective comme ses personnages ou déambule le plus souvent en marchant sur les mains pour ne pas souffrir de sa jambe. Mais aussi, surtout même, parce que cette vie et cette mort désacralisent paradoxalement le neuvième art pour lui rendre la place modeste, affectueuse et mélancolique, qui est la sienne : celle d'un palliatif incapable de concourir avec l'alcool et la drogue dès lors qu'il s'agit de soulager d'incommensurables douleurs, même chez celui qui avait déclaré que le réel n'aurait pas de valeur et que la vie, en tout cas la sienne, ne serait jamais rien d'autre qu'un grand bordel de bande dessinée.
aaapoumbapoum
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le 21 juil. 2012

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