Chez Glénat est récemment parue Joyride : Ignition, une bande dessinée de 320 pages narrant l’évasion spatiale de trois jeunes adultes. Puisque la terre est devenue une gigantesque prison à ciel fermé, les trois héros vont explorer l’espace en quête de liberté. Ils y découvrent toutes sortes d’entités inconnues, pas toujours amicales…


Dystopie. Joyride : Ignition s’ouvre sur une vision terrifiante de la terre. Recouverte d’un dôme la privant d’horizon, la planète bleue se trouve sous l’emprise des Cosanova, une dictature héréditaire ayant restauré une forme exacerbée de fascisme. Les journaux télévisés sont entièrement acquis à la cause du pouvoir en place, le peuple se mue en une masse d’individus grégaires, les Jeunesses alliées sont aux ordres et contaminent les esprits, et la peur de l’autre (extraterrestre) tient lieu de puissant incubateur au service de l’autoritarisme et des privations consenties. Les Akkolyte forment cependant un groupe de résistants imperméables à l’idéologie officielle, pourchassés et décrits comme des « aberrations ».


Famille. Ces insoumis nous mènent à une autre interrogation, portant sur la famille. Dans Joyride : Ignition, celle-ci prend les traits les plus divers. Les Cosanova règnent en maîtres sur une terre où la liberté s’est éteinte, mais Catrin, la fille et héritière du Chef suprême, pose un regard critique sur les agissements de son clan. Elle a grandi enfermée, a cherché à fuguer, puis a été contrainte de rejoindre les Jeunesses alliées, jusqu’à rompre définitivement avec la dictature mise en place par sa famille. Les Akkolyte ne sont quant à eux pas liés par le sang, mais par les idéaux et les valeurs, ce qui fait d’eux une famille certes artificielle, mais bien plus solide et unie que les Cosanova. Dewydd est confronté à un autre problème : entiché d’Uma Akkolyte, il la suit dans sa fuite cosmique, mais se voit traqué par son frère, promu intercepteur spatial, avant que ce dernier ne se joigne à sa cause.


Espace. Le space opera est un genre popularisé par Star Wars et très présent dans les bandes dessinées de science-fiction. Chez Glénat paraîssait d’ailleurs, au même moment que Joyride : Ignition, l’édition intégrale d’Ody-C, tandis que Dargaud et Ludovic Rio présentaient quant à eux, un mois plus tard, Aiôn. Dans l’ouvrage qui nous intéresse ici, l’espace est une double invitation à l’évasion : à celle des personnages, déjà évoquée, se couple celle du lecteur, amené à croiser la route de Kolstak le vagabond, d’une baleine de l’espace en huit dimensions qui exauce des vœux, de vides absolus génocidaires, d’une Régulatrix remodelant les modes de vie, de vaisseaux en reconfiguration constante ou d’un mini-dinosaure évolutif. Cet univers, pluriel, dense et soumis à des lois diverses, constitue l’une des forces de Joyride.


Questions connexes. La notion de liberté sous-tend toute la bande dessinée. Elle constitue d’ailleurs son point de départ, puisque c’est sa quête qui conditionne la fuite d’Uma et Dewydd, à laquelle va bientôt se mêler Catrin. Même le vaisseau « vivant » sur lequel voyagent les trois héros s’y montre sensible, pour des raisons liées à son histoire personnelle et clanique. L’amour, l’art, la liberté, la musique sont présentés comme les choses les plus nobles au monde. C’est en leur nom qu’Uma veut « briser » la cage et « détruire ce système », terrestre et totalitaire. L’homosexualité, l’amitié, la fraternité plutôt que la compétition, la question de l’action ou de la fuite irriguent également le récit, riche mais parfois malmené par des retournements de situation trop fréquents (dont la mutation du statut de certains personnages).


Style. La beauté et l’élégance des dessins, le dynamisme du découpage, l’ironie des dialogues sont autant de qualités appréciables. Les tirades fusantes collent parfaitement à la caractérisation d’un personnage comme Uma, ivre de liberté et d’audace. Pour le reste, le lecteur aura affaire à un bestiaire varié et se trouvera plongé dans des poursuites échevelées, tous deux au service d’enjeux bien plus profonds qu’il n’y paraît.


Ma critique est à lire sur Le Mag du Ciné.

Cultural_Mind
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le 19 août 2019

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