Quand j'ai repéré les épais volumes de cette intégrale fièrement dressés au cœur des collections de mon principal fournisseur de bandes-dessinées, j'ai d'entrée su que j'y viendrai tôt ou tard : l'occasion est trop belle – pour ceux qui ont, comme moi, découvert le juge au cinéma sous les traits de Sylvester Stallone – de se plonger 


aux origines de l'impitoyable héraut armé et incorruptible de la justice expéditive d'une dystopie fascinante.



Du trésor de comics britannique, en veux-tu en voilà ! Ce premier volume d'une ambitieuse ré-édition dédiée au juge le plus violent et le plus déterminé du neuvième art rassemble les premières aventures d'un héros antipathique, sévère autant que coriace, initialement parues dans l'hebdomadaire 2000 AD à la fin des années soixante-dix, et nous invite là à découvrir les planches originelles d'une série épique,



pas tout à fait punk mais bien destroy,



et les quelques artistes qui y ont forgé avec assiduité et talent leurs crayons. Sur de courts scénarii simplistes aux élans coups de poing de John Wagner, créateur de l'univers, et de Pat Mills, quatre dessinateurs développent alors l'univers de Mega City One, puis rapidement la cité de Luna One : Carlos Ezquerra, dessinateur originel, imprime le style expéditif et ultradécoupé de la série, Mike McMahon, Ian Gibson et Brian Bolland lui emboîtent le pas avec assurance, sans avoir à rougir de leurs prestations.
Pavé noir et blanc, l'opus compile à nu les débuts décousus d'une série excitante qui développe, page après page, le caractère entier, irascible, de son foutu héros, et toute la densité complexe et vivante de l'univers dystopique dérangeant que celui-ci habite et protège sans la moindre pitié.


Niveau scénarii, pas de quoi s'exploser les neurones : l'ouvrage se compose de 


très nombreuses courtes histoires de cinq ou six pages,



parfois moins rarement plus, exceptionnellement développées en deux ou trois épisodes, rarement plus. Pour autant, l'intérêt de l'opus est immense où il réside dans la mise en place patiente du personnage et de l'univers qui se dessinent au fur et à mesure de ces récits par trop simplistes : Judge Dredd distribue son inébranlable justice à travers la mégapole au fil de planches d'une rare violence pour l'époque, langage de charretier, toujours sur le fil de la colère.



L'homme est diablement antipathique et c'est bien ce qui fait son charme.



Autour de lui gravite une galaxie de criminels mal avisés, tentés par les coups faciles et persuadés qu'ils sauront, à coups de manigances, venir à bout de ce juge redouté qui maintient leurs activités sous le seuil de rentabilité et pourrit leurs existences. L'on découvre aussi que le juge, sorti du boulot, est une masse feignasse assistée d'une femme de ménage et d'un robot domestique.


Mais la petite pépite de ce volume, c'est l'apparition de Rico, clone du juge, autour duquel était basée la première adaptation cinématographique :


le plaisir alors est vif de constater que le premier film respectait là autant l'univers que la mythologie du personnage interprété à l'écran par un Sylvester Stallone idéal.


Niveau dessin, tout l'ouvrage est un bijou. Témoignage d'une vision passée, mais pas datée, d'un avenir mécanique impitoyable où la densité crasse de la population facilite le fourmillement du crime, et où la tyrannie non-identifiée au pouvoir contrôle chaque aspect de la vie de ses citoyens. Tout est là, graphiquement, de ce qu'on apprécie de la dystopie : immeubles vertigineux, motos imposantes, déliquescence des visages du crime, dédales urbains, armes surdimensionnées, tensions explosives et, encore une fois, l'irrépressible dynamique de la violence des hommes et du juge dans 


un univers dense et sombre où planent l'insécurité, l'errance, la misère



et dans lequel le bonheur n'est plus même un lointain souvenir.


Une excellente introduction brute au cœur de la machine judiciaire casquée, une sublime chevauchée de courtes étapes où le crime jamais ne paie, bien au contraire : *Judge Dredd*, juge, jury, bourreau, l'humanité en colère instinctive et tendue, erre dans 


une atmosphère anxiogène de futur contraint par le quotidien et privé d'horizon



pour punir tous ceux qui ne suivent pas la loi à la lettre, criminels sanguinaires et délinquants occasionnels, par inattention, sur le même plan. Sous les allures fanzine adolescent des histoires présentées, la réflexion de surface titille les esprits, pose



quelques questions de fond sur notre humanité autant que sur le sens que nous donnons à nos expériences sociétales.



Sans juger justement, mais en s'amusant à lâcher la bride à ce antihéros impitoyable, porté par la justice autant que par les exigences extra-humaines que demande son dévouement aveugle. Sans pitié aucune, les auteurs n'hésitent pas un seul instant à peindre d'ombres tout l'avenir de nos sociétés sécuritaires, vingt-cinq ans avant le tournant de leur installation effective officielle au début de ce siècle écrasé sous les menaces terroristes.
Terriblement visionnaire, sans concession, Judge Dredd a posé depuis longtemps la sentence de nos mornes existences que les impératifs de sécurité privent sans hésitation aucune de libertés fondamentales. Le lire aujourd'hui ne remonte pas tellement le moral mais amène avec plaisir les questions les plus indispensables que nous puissions poser dans nos sociétés contemporaines en nous jetant en plein visage les évidentes dérives qu'elles charrieront inévitablement.

Créée

le 9 avr. 2018

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