Adapté de L’Assommoir d’Émile Zola, ce film de René Clément s’éloigne du sujet principal de l’œuvre, l’alcool et ses ravages sur le monde ouvrier, pour se consacrer au destin de Gervaise, miséreuse malheureuse du pavé parisien au XIXème siècle.


Blanchisseuse boiteuse, mère de deux garçons, Gervaise Macquart se laisse abandonner par Lantier, le plus bel homme du quartier qui passe ses nuits chez les filles d’en face. Depuis toujours elle est la risée des femmes du lavoir, mais elle s’accroche et travaille dur, discrète, pour nourrir ses garçons. Bientôt elle rencontre un ouvrier couvreur, Coupeau, et l’épouse. Il est gentil, et lui donne une fille, Nana. Gervaise rêve alors d’ouvrir sa propre blanchisserie, de se mettre à son compte et devenir patronne. Mais son époux tombe d’un toit et commence de sombrer dans le mauvais vin.


Gervaise, c’est comme un prototype de Dancer In The Dark de Lars Von Trier : du malheur, du malheur, des soucis, un coup de mieux et un plus gros malheur, une catastrophe, encore du malheur. Un tas de coups plus durs les uns que les autres, la vie qui s’acharne. L’Assommoir ici n’est plus l’alcool qui noie les soucis, mais bien la vie qui assomme et abrutit, la vie qui démunie. Ce sont tous les déboires qui s’accumulent, les petites catastrophes miséreuses qui, jour après jour, font la vie triste et moche à une femme qui mériterait mieux, si gentille.
« Gervaise elle veut toujours faire plaisir à tout le monde. »


René Clément vise la fresque. C’est là dans la lumière, dans les décors. C’est là dans la distribution, la blonde et souriante Maria Schell en tête. Un naturalisme qui tire sur le réalisme social, l’essence des ambiances de Zola est là. Mais l’école classique de laquelle est issu le réalisateur l’empêche d’aller au bout de ses envies et comprime la narration dans des normes ennuyeuses. C’est long. Long comme un bouquin de l’auteur original mais sans regorger des saveurs particulières de son œuvre : sueur et sang, idéalisme. Et son amour pour la comédienne lui voile l’erreur : tout au long du film, Gervaise reste la même. Toujours bonde, toujours jeune, toujours souriante. Elle ne vieillit pas, ne grossit pas, ne s’abîme pas.
C’est pourtant le cœur du récit.


Le film s’arrête où Émile Zola portait son intérêt : la déchéance imbibée de son héroïne, les mécanismes qui l’ont amenée là, et les pulsions de destructions qui deviennent alors son quotidien. Un simple plan final ici dit l’abandon face aux obstacles de la vie mais ne raconte pas l’enfer, la chute, la déliquescence. « On était mieux quand on était ouvrier » conclut Gervaise, comme si René Clément préconisait simplement, pour éviter les mauvaises surprises de l’existence, de rester chacun à sa place.
D’oublier ses rêves parce que la vie abat l’homme, l’assomme.


      Matthieu Marsan-Bacheré

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le 26 nov. 2015

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