Que se passe-t-il quand on se casse la tête sur le caniveau ?

Tout d'abord, je souhaite préciser mon rapport avec la BD. Comme tout le monde, j'ai lu la BD franco-belge "usuelle" comme Asterix, Tintin, un peu de Lucky Luke et du Léonard. Par contre, je n'ai pour ainsi dire pas de culture de la BD américaine (un peu de Batman, du Marvel parcimonieusement et c'est presque tout). Non, moi, c'est surtout la BD nipponne que j'ai dévoré depuis 1995. Tezuka, Urasawa, Ôtomo, Taniguchi, Kishiro, Shirow ou "même" Toriyama, Ôbata, Clamp, Katsura,... Voici quelques uns des mangaka qui m'ont ravi sur les milliers voire les dizaines de milliers de pages que j'ai lues.

Bref, je suis un lecteur un peu bancal mais intéressé et surtout complètement ignorant des techniques de construction d'une BD, de narration, de rythme. Je n'ai jamais eu l'occasion de prendre le temps et de réfléchir pourquoi telle BD me plaît ou telle autre non. En tout cas, je ne suis jamais allé plus loin que "je n'aime pas les persos" ou "l'histoire est nulle". Il faut cependant retenir le "intéressé" dans ce paragraphe car c'est cette caractéristiques qui a fait que je fus vraiment enthousiaste quand j'ai appris l'existence de cette "BD" de Scott McCloud.

Une BD sur la BD, vraiment ?
En effet, l'idée peut paraître bizarre mais McCloud a clairement réussi son pari, selon moi. Il décortique son art et s'intéresse à tout ce qui en fait les caractéristiques et surtout les spécificités. Il s'est littéralement pris la tête sur le "caniveau", l'espace séparant 2 cases mais c'est l'occasion de faire peut-être le seul reproche à L'Art Invisible car j'ai trouvé que les références japonaises, bien que présentes, n'étaient pas assez développées. Tezuka a pourtant fait un travail conséquent sur le cassage (au sens propre comme au figuré) de ce "caniveau". Mais vu mon "background", vous comprendrez que je ne suis pas très objectif sur ce point.

Je pinaille mais il est évident que le fond et la forme sont excellents. Les thèmes thèmes développés le sont de façon claire, complète avec un travail bibliographie et des références tout en étant pédagogique, concis et même divertissant. L'introduction donne un rapide historique qui fait remonter l'origine de la BD au sens large à plusieurs milliers d'années mais avec les exemples qu'il donne, comment ne pas être d'accord avec lui ?? Puis les arcanes de la construction concrète d'une BD mais aussi de toute la pensée créative précédent le premier coup de crayon sont évoquées et remises dans un contexte plus global, en regard avec la création d'autres œuvres. Un vrai travail complet.

A la fin du livre, j'en ressors avec un regard différent et plus de recul sur cet art séquentiel. Je ne peux que chaudement recommander cette BD a toute personne s'intéressant un tant soit peu au fonctionnement d'une bande dessinée et surtout à une réflexion générale sur son statut et son positionnement en tant qu'art ainsi que les particularités qui font que la BD est plus que du dessin avec du texte.

(Quoiqu'il en soit, il donne bien envie de lire le bouquin d'Eisner ! Et vivement une œuvre de la même trempe pour le jeu vidéo ! Il existe déjà quelques jeux expliquant le game design, vous me direz.)