L'Art invisible
8.3
L'Art invisible

BD (divers) de Scott McCloud (1993)

Si il ne devait en rester qu'un

McCloud, c'est Highlander, c'est LE théoricien de la bande-dessiné par excellence. Pourtant ce n'est pas le premier (Will Eisner fut un pionnier que McCloud n'a de cesse de citer, comme aujourd'hui les dessinateurs citent McCloud) ni le meilleur (plus d'une de ces théories peuvent être remises en cause et je présume qu'il doit exister d'obscures maîtres de la BD à l'heure actuelle que le grand public ne connait pas encore), mais il est celui qui a montré la voie, celui qui a mis la BD sur orbite en lui offrant plus que ce qu'elle n'avait jamais pu imaginer. Scott McCloud, à travers l'Art Invisible a développé une théorie du neuvième art qui donnait enfin un fond, un background, une réalité permettant de comprendre ce média fabuleux qu'est la bande-dessiné, et qui avait déjà été bien utilisé à cette époque, révélé au grand public comme un genre majestueux via des artistes comme Art Spiegelman (il fallait le citer, autant le faire tout de suite).
Pourtant, et c'est là où il faut comprendre ce qu'est l'Art Invisible, on n'assiste ni à une leçon sur l'histoire de la BD ni sur les différentes écoles. Bien entendu McCloud parle de cela, il évoque aussi différents aspects techniques, mais ce qui l'intéresse c'est de comprendre ce qu'est la bande-dessinée entant que bande-dessinée. Il est le premier à vouloir à ce point définir cette forme d'art. McCloud est le Socrate du neuvième art, il s'interroge et refuse les exemples, il veut une définition universelle, il veut la comprendre pleinement, car c'est ainsi qu'on pourra enfin faire de la pure et bonne BD.
McCloud offre donc ici une œuvre assez incroyable. On parle souvent de roman-graphique pour parler de soi-disant "bande-dessinée bien faite" (le terme de roman-graphique est on ne peut plus méprisant, faisant passer la BD pour un sous-genre de la littérature et ne lui donnant pas une existence propre), mais là ce n'est pas un roman graphique, c'est plus un "essaie-graphique". C'est un livre de philosophie ! Mais ce n'est pas de la littérature. C'est de la BD !

Et oui, Scott McCloud fait un constat évidemment : comment parler réellement de la BD autrement qu'en BD ?! Il nous faut passer par cette dimension pour en traiter avec précision, il le faut, c'est nécessaire ! McCloud va donc profiter pleinement du potentiel de ce support pour montrer ces théories en même temps qu'il les démontre. Il en résulte une grande facilité de compréhension. Il y a de cela un an, un professeur (de philosophie) et moi avons envisagé de faire un commentaire "de texte" d'un passage de L'Art Invisible. Il nous ait apparu que cela était impossible car ça ne pourrait être qu'une paraphrase. McCloud avait déjà tout expliqué, tout mis parfaitement en place, on ne pouvait pas être plus explicite ! Au final, j'ai fais un travail sur une série de gravure de l'artiste Goya en me basant sur les réflexions tirées du chapitre 5 de l'Art Invisible.
Car là où McCloud est très fort c'est qu'il nous offre une vrai réflexion sur l'art en général et pas que sur la bande-dessinée. C'est tout simplement orgasmique de voir d'aussi bonnes idées sur la représentation notamment. Des théories qui n'ont rien de vulgaire et d'enfantine mais qui sont d'une puissance rare. Capable de rivaliser avec des amateurs de peintures qui ont des siècles d'études derrière eux, là où la BD est une forme d'art bien jeune.
Je vous rassure, l'Art Invisible s'intéresse a bien d'autres problèmes qui, eux, sont uniquement liés à la BD. On peut compter dedans le déroulement temporel à travers la BD, le problème des caniveaux (ou goutière), la mise en couleur, le fait de montrer et dire.
On pourrai lui reprocher de ne faire que de la théorie et n'apporter aucune pratique. Premièrement on notera qu'il a justement écrit "Faire de la Bande-dessinée" en 2006 pour ça. Et deuxièmement que c'est stupide car l'Art Invisible c'est évidemment une œuvre sur la théorie pure, pour nous amener à réfléchir sur la BD entant que BD.

On pourra me reprocher de ne pas évoquer ces théories. D'autres l'ont fait avant moi, et je ne vois pas d'intérêt de faire une synthèse de tous ses dires tant il faut profiter de la mise en image, de la démonstration de ces paroles, sinon, le sujet perd de son intérêt. Je vais me limiter à faire des autres remarques donc sur cet ouvrage.
La première est que McCloud nous offre beaucoup d'exemples tirés de véritables pros. C'est passionnant car il cite des auteurs de toutes origines (Akira Toryama, Hergé, Mazzuccheli) et nous offre ainsi une vision globale et vaste de la BD. Il déterre également quelques auteurs undergrounds méconnus du grand public et nous permet de les découvrir si on est un peu curieux (Rory Hayes en tête pour ma part).
Deuxième remarque : je me sentais obligé de critiquer au moins une théorie de McCloud. Car on aurait tord de dire "amen" à tout ce qu'il dit. Lui-même ne le veut pas, il ne se considère que comme un des pionniers de la théorisation de la BD mais pas comme le dernier. Au contraire, il invite ses lecteurs à réfléchir à ce qu'il dit et à chercher à le contredire. Je me permettrais donc, simplement, et avec modestie, de critiquer un problème d'ensemble sur sa vision de l'art et de la BD plus particulièrement. En effet, sa définition (images picturales, et autres, volontairement juxtaposées en séquences, destinées à transmettre des informations et/ou à provoquer une réaction esthétique chez le lecteur) offre la possibilité de faire remonter la BD à l'Egypte antique. Comme beaucoup de lecteurs je trouve que c'est trop large, car les marques sur les tombeaux égyptiens ne me semblent pas pouvoir être appelé de la bande-dessinée. Bien entendu le débat est là, mais en lisant McCloud, j'ai noté que comme un paquet d'américains, il était assez étranger à Kant. Scott McCloud ne prend en compte, à aucun moment, l'importance de l'intention pour une définition de l'art. Un enfant qui dessine n'importe quoi est autant de l'art qu'une œuvre de Kandinsky (qu'il cite également, il a vraiment de bonnes références), selon ses dires. Heureusement l'intention permet de nuancer cela. C'est pour ça que les "BD publicitaires" ne sont pas de l'art, car dans la création, il n'y a nullement "l'intention d'en faire de l'art".

J'ai conscience d'ouvrir moi-même avec ces propos tout un débat. Mais c'est là une beauté de l'Art Invisible : ça pousse au débat ! Et croyez moi, ce n'est pas la seule choses géniales. Ce livre est une lecture obligatoire pour tout lecteurs de BD, il ouvre des portes insoupçonnées et n'est jamais une lecture difficile pour autant. On parcours les théories avec plaisir, bercé par les dessins de McCloud. Le seul regret qu'on puisse avoir à la fin de cette lecture c'est qu'après l'Art Invisible, il existe encore des gens qui font des mauvaises BD !
mavhoc
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le 1 nov. 2013

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mavhoc

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