Ce tome fait suite au tome 1 : 2 juin 1916 - 1er août 1916. Il contient 30 épisodes de 3 à 4 pages (3 pour ceux de 1 à 23, et 4 pour ceux de 24 à 30) parus au tout début des années 1980. Il y a une introduction de Steve White sur les premiers tanks utilisés lors de la première guerre mondiale, un résumé en 1 page du tome précédent, 5 pages de commentaires de Pat Mills, et une postface de 2 pages de Garth Ennis.


Au fond de la tranchée, Charley s'est porté volontaire pour acheminer un message à l'état major alors que les 12 messagers précédents ont échoué. Ayant accompli cet acte de bravoure, il est pour le moins décontenancé par la manière dont les gradés réagissent audit message. Après cette offensive, il peut passer un peu de temps à l'arrière et assister de visu à l'application de la discipline. En particulier son lieutenant passe en cour martiale pour acte de trahison. Dès septembre 1916, Charley est de retour dans les tranchées et il participe à une offensive (over the top) dans laquelle les soldats disposent de l'appui des tout premiers tanks. Il est désigné d'office pour acheminer des pieux de bois à dos de mule sous une pluie torrentielle, avec toujours le risque de tirs de barrage ennemis. Enfin, il s'endort alors qu'il était de faction de nuit et que l'ennemi effectue une opération commando.


Pat Mills (scénario) et Joe Colquhoun continuent leur évocation de la première mondiale vécue par un tommy anglais (soldat d'infanterie) affecté en France dans les tranchées lors de la bataille de la Somme. L'Histoire est en marche et elle broie les individus sans distinction de classe, ou presque. Le simple soldat Charley Bourne continue de servir pour sa gracieuse majesté et découvre des aspects de cette guerre qu'il ne soupçonnait pas. Mills et Colquhoun montrent au lecteur ce quotidien des affrontements, sous un jour d'autant plus horrible qu'il est prosaïque. De ci, de là, le lecteur peut parfois faire la moue devant la narration parfois un peu trop didactique de Pat Mills qui ajoute un mot bref d'explication, ou qui surjoue une émotion. Une fois dépassée ces imperfections narratives, la découverte de la vie de Charley est à l'opposé d'une promenade de santé, et elle permet d'ouvrir les yeux sur la réalité d'un champ de bataille. Cette expression perd sa banalité dépourvue de sens pour devenir des moments concrets, toujours plus absurdes et dérisoires.


Pat Mills conserve sa volonté de rester dans le factuel, de proscrire toute glorification de la violence, de pourfendre tout romantisme des combats, toute ode à la testostérone, tout glorification de la guerre. Il n'a pas pour objectif de condamner l'action militaire de l'Angleterre, mais de montrer le quotidien. Évidemment, le lecteur retrouve déjà des éléments évoqués dans le premier tome tels que l'arbitraire des morts par obus, les séquelles de l'exposition au gaz, le manque d'hygiène (morpions et rats sont au rendez-vous), l'absence de confort basique (pas de douches, pas de place pour dormir) et l'omniprésence de la mort. Ce deuxième tome est également l'occasion d'aborder de nouveaux aspects du conflit. Il y a donc la première utilisation de tanks dans une guerre. L'introduction permet de comprendre que l'utilité d'un tel engin n'avait rien d'une évidence pour l'état major anglais. Les circonstances de l'affrontement amènent Charley à prendre place à bord d'un tank. Et là, le lecteur découvre ou contemple (en fonction de son degré de familiarité avec ce type d'engins) les contraintes d'utilisation pour les soldats. Il s'agit d'un moment exceptionnel dans sa banalité et son évidence, comme dans son horreur puisque cet armement est, pour les soldats, autant un atout (puissance de feu supplémentaire) qu'une source de danger (cercueil roulant et visibilité limitée). Il serait facile d'écarter ce point comme un exemple d'une technologie encore balbutiante, mais il est aussi facile de comprendre que les armes modernes présentent des difficultés d'utilisation similaire. Pat Mills n'oublie pas de rappeler qu'à l'époque peu de soldats (appelés comme engagés) savaient conduire un véhicule à moteur.


Mills ne se contente pas de parler de technologie, il évoque également des problématiques plus épineuses, telles que celle de la discipline. D'un coté les soldats meurent sous le feu de l'ennemi ; de l'autre les gradés doivent maintenir une discipline stricte pour éviter toute désobéissance, ou pire toute désertion. Les moyens employés vont des punitions corporelles (Field punishment number one), jusqu'à l'exécution, en passant par la cour martiale. La juxtaposition de la mort sous les balles ennemies, et de la mort sous les balles du peloton d'exécution provoque un haut-le-coeur irrépressible. Pat Mills évoque également la mort des soldats du fait de tirs amis ; le pourcentage de tués correspondant est estimé à 10% lors de la première guerre mondiale. Il met en scène le traumatisme psychologique des soldats soumis aux tirs ennemis et étant témoins de la mort de leurs camarades. L'horreur absurde monte encore lors de la consultation médicale où le praticien doit intégrer à ses diagnostics et ordonnances les nécessités de service (impossible d'exempter de combats tous les blessés). Et il continue d'exposer les manifestations matérielles d'une société où les classes sociales sont fortement marquées. Devant une telle densité thématique, il est facile de faire fi des maladresses narratives et de pardonner le fait que les soldats allemands soient réduits au stéréotype d'ennemis sanguinaires, d'autant plus que Mills a bien fait son travail de recherches.


Il en est de même pour Joe Colquhoun qui produit des planches d'une qualité supérieure aux standards des bandes dessinées anglaises de l'époque. Non seulement, il continue à dessiner des uniformes et des armes conformes à la réalité. En plus il a lui aussi bien effectué ses recherches pour que ses dessins de tanks retranscrivent leur apparence réelle, jusqu'aux rivets servant à boulonner les tôles entre elles. Il inclut des détails qui apportent des spécificités à chaque scène, que ce soit les briques d'un mur, les visages de soldats, leur morphologie et leur langage corporel (l'inoubliable escouade d'appelés allemands), l'agencement des "lits" dans les tranchées, etc. Et il sait tout dessiner : des masques en cottes de maille des conducteurs de char (authentique) jusqu'aux rats et même une poule et un cochon. D'un coté, cela peut sembler normal comme capacités chez un dessinateur ; de l'autre il est rare qu'un artiste soit à l'aise pour tous ces éléments disparates. Or Joe Colquhoun se révèle également un excellent metteur en scène, que ce soit pour l'avancée des tanks, ou, pour beaucoup, plus difficile, un combat aérien vu du sol. Non seulement il arrive à créer des visuels et des approches à chaque fois différentes pour les séquences dans les tranchées (alors que l'environnement change peu), mais en plus il livre des images mémorables. Il faut voir Charley revenir avec un sac à la main et accablé par le poids de l'horreur, ou encore Charley patauger dans la boue, avec un camarade et une mule. Cette séquence est l'exemple même de pages qui font comprendre au lecteur la réalité de la situation. D'un seul coup, grâce aux images, les conséquences de la pluie, du terrain défoncé par les obus deviennent une évidence. Comme pour Pat Mills, Colquhoun atteint parfois ses limites, en particulier quand un personnage dénote trop, comme le beau-frère de Charley au potentiel comique discutable. Par contre le spectacle donné par les militaires eux-mêmes est enchanteur, à commencer par le numéro de ventriloquie.


Avec ce deuxième tome, les rares maladresses narratives (aussi bien scénaristiques que visuelles) disparaissent devant un récit à la force pédagogique exemplaire qui est entièrement au service du récit du quotidien de Charley Bourne, simple troufion exposé en première ligne (au propre comme au figuré) aux combats. Exceptionnel ! La guerre continue dans tome 3 : 17 octobre 1916 - 21 février 1917.

Presence
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le 15 juil. 2019

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