Alix au XXème siècle... Une aventure tout aussi réussie que celles du jeune Gaulois

Lefranc a toujours été pour moi – à tort – un personnage de BD de second plan. Tout le monde connaît Alix, la série phare de Jacques Martin, beaucoup moins connaissent son alter ego du XXème siècle. Et de fait, si dans la famille nous avons la collection complète des Alix, nous n'avons que 3-4 albums de Lefranc, qui plus est période Bob de Moor et Gilles Chaillet, soit pas franchement les plus réussis (surtout en ce qui concerne Chaillet). J'ai donc longtemps oublié cette série, avant de retourner récemment à la bande dessinée franco-belge (« Jo, Zette et Jocko » par exemple) et de me dire que je ne connaissais pas la genèse des aventures du reporter, les tous premiers albums. J'ai franchi le pas, et j'ai été agréablement surpris.


Nous sommes en terrain connu : le style graphique est un parfait exemple de la fameuse ligne claire si chère à Hergé et au Journal de Tintin, dont Jacques Martin fut l'un des piliers. Ce qui veut dire un dessin d'une grande clarté et d'une grande élégance, réaliste sans être naturaliste, avec de beaux aplats de couleur. Certes, à cette époque Jacques Martin ne dessinait pas aussi bien qu'au moment de l'âge d'or graphique d'Alix, mais le dessin est tout de même bien plus assuré que dans les toutes premières aventures du jeune Gaulois. J'entends par là que c'est un vrai régal. Qui plus est nous sommes plongés dans une atmosphère désuète avec un charme certain (avec le recul) : la France des années 50, férue de positivisme et de science-fiction à la fois, à la manière des aventures de Blake et Mortimer, quoiqu'en plus réaliste.


Mais il y a également et avant tout beaucoup de suspense ! A l'époque, la majorité des bandes dessinées étaient publiées dans des journaux et autres magazines avant d'être éditées au format album. Seules une ou deux planches (ou pages) étaient livrées à l'appétit du lecteur, selon le rythme de publication défini (hebdomadaire, mensuel...). Il fallait donc accrocher le lecteur pour qu'il en redemande, et à la fin de chaque page, dans les deux ou trois dernières cases en bas, il y a toujours un effet de surprise, l'intrigue est comme mise en suspens sans que l'on sache ce qu'il va advenir. Et ceci le long des 62 pages de l'album. Ce qui fait que le rythme est trépidant et que nous sommes happés par les aventures de nos héros. Impossible d'arrêter de lire l'album avant d'en connaître la fin !


Revenons à Lefranc. Si j'en crois Wikipedia, Jacques Martin a été inspiré par une visite dans les Vosges, découvrant des installations de la Seconde Guerre Mondiale qui tiendront lieu de décor à la première aventure du jeune reporter. J'y apprends également que ce ne devait être qu'un album, pas une série. Mais devant son succès, Jacques Martin a fort heureusement dessiné d'autres bandes dessinées sous l'étiquette Lefranc. Et je comprends enfin pourquoi ce dernier ressemble tant à Alix : la direction du Journal de Tintin voulait qu'il reprenne Alix et Enak en les transposant à l'époque actuelle. Ce furent donc Lefranc (blond comme Alix, passant de Gaulois à Franc, d'où son patronyme) et Jeanjean, alter ego d'Enak assez dispensable, Jacques Martin s'empressera d'ailleurs de le faire disparaître de la série par la suite.


Je ne vais pas m'appesantir sur l'intrigue, à la fois classique et un peu tirée par les cheveux, mais néanmoins palpitante. Je préfère mentionner l'apparition de l'antagoniste de Lefranc, soit dit en passant l'un des meilleurs méchants de l'histoire de la bande dessinée : Axel Borg. Un mystérieux industriel dont nous savons peu de choses, digne d'Arbacès (Alix) ou d'Olrik (Blake et Mortimer). Un méchant très élégant et sans le moindre scrupule, parfait pour donner du fil à retordre à Lefranc et pour nous tenir en haleine.


En somme, cette BD a été réalisée au moment de l'âge d'or de la BD franco-belge. Elle en possède toutes les qualités, et si certains la trouveront démodée, personnellement je trouve qu'elle conserve tout son intérêt, surtout quand on la compare à la production actuelle, réservant un excellent moment de lecture.


Critique à retrouver sur mon blog ici.

ArthurDebussy
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 30 Meilleures séries de BD, 200 bandes dessinées, Les meilleures BD des années 1950 et Top Lefranc

Créée

le 7 mars 2018

Critique lue 636 fois

17 j'aime

11 commentaires

Arthur Debussy

Écrit par

Critique lue 636 fois

17
11

D'autres avis sur La Grande Menace - Lefranc, tome 1

La Grande Menace - Lefranc, tome 1
Frenhofer
9

Lefranc s'envole et l'Alsace contre-attaque

Son nom est Martin, Jacques Martin. Et, non, il n'a pas présenté L'Ecole des fans mais il a donné naissance à Alix, le célèbre gaulois, pendant réaliste aux aventures burlesques d'Astérix. Né en...

le 6 oct. 2018

8 j'aime

7

La Grande Menace - Lefranc, tome 1
JLP_2
7

Retour vers le passé ?

A l'occasion, ces derniers jours, d'un retour vers Jacques Martin, j'approfondis ma réflexion sur cette auteur dans l'oeuvre semble empreint d'un grand pessimisme à l'égard de la nature humaine. ...

le 24 juil. 2022

6 j'aime

2

La Grande Menace - Lefranc, tome 1
Alligator
5

Critique de La Grande Menace - Lefranc, tome 1 par Alligator

sept 2007: C'est avec grande curiosité que j'ai compulsé cet album. J'avais essayé du Jacques Martin quand j'étais marmot et j'avais eu bien du mal avec ce mode de récit, plein de texte, touffu,...

le 15 nov. 2013

2 j'aime

3

Du même critique

Mary et la Fleur de la sorcière
ArthurDebussy
4

« Kiki à l'Ecole des Sorciers »

Manifestement, il ne suffit pas de reprendre l'esthétique d'un maître pour l'égaler. C'est ce que les suiveurs et autres académistes apprennent à leurs dépens depuis la nuit des temps en matière...

le 24 févr. 2018

58 j'aime

12

Princesse Mononoké
ArthurDebussy
10

Le passage d'un monde à un autre

« Princesse Mononoké » couronne la carrière d'Hayao Miyazaki par bien des aspects. Peut-être son film le plus riche et le plus complexe, c'est également l'un des plus accomplis formellement,...

le 13 août 2016

36 j'aime

10

Il était une fois dans l'Ouest
ArthurDebussy
9

Western épique et lyrique

Vu une première fois, trop jeune, il y a longtemps, j'étais complètement passé à côté de ce film. Je m'étais dit « tout ça pour ça » ?! Je ne comprenais pas le concert de louanges qui entourait ce...

le 19 août 2020

32 j'aime

20