Ce tome contient les épisodes 20 à 24, initialement parus en 2014, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Sean Phillips, avec une mise en couleurs d'Elizabeth Breitweiser. Il s'agit du dernier de cette série qui constitue une histoire complète.


La séquence d'ouverture se situe en janvier 2014 : Jo abat froidement 3 membres du culte satanique, puis s'en retourne à son motel. Elle se souvient de sa première tentative de suicide en 1935. Elle réussit ensuite à récupérer Nicolas Lash et l'emmène chez un vieil homme prénommé Otto disposant d'une bibliothèque ésotérique de grande ampleur.


Une autre séquence permet de découvrir les origines de l'aveugle à la tête dudit culte, en 1906 à San Francisco. Enfin le conflit opposant Jo au culte trouve une résolution.


Comment ça, c'est déjà fini ? Avec les 3 précédents tomes, Ed Brubaker et Sean Phillips avaient mis en scène avec une habilité diabolique le poids de la séduction de Josephine. Certes, cette femme dispose d'une beauté à couper le souffle, rehaussée par un sort magique, mais en filigrane, il s'agissait bien de la condition féminine, et de la propension des hommes à regarder les femmes comme autant de conquêtes sexuelles potentielles. C'est donc avec un petit pincement au cœur que le lecteur prend conscience que le temps de la résolution est déjà venu.


Cela ne veut pas dire que le thème de la séduction a disparu. Jo fait usage à plusieurs reprises de son ascendant sur la gente masculine, à la fois pleine de remords pour ces vies brisées, mais aussi fermement décidée à mettre un terme à ces horreurs. Au fil de l'histoire de l'ascension du Maître du culte, le lecteur contemple la toute puissance masculine en action, conquérante par la force, et expansionniste au mépris des autres. De son côté, Josephine n'est pas mal non plus dans l'abus de son pouvoir de séduction, laissant derrière elle des épaves, des hommes devenus dépendant de l'intensité de leur relation à cette femme.


Ed Brubaker relie ses différents fils narratifs avec fluidité, levant le voile sur les différents mystères subsistant depuis le début du récit. La résolution est claire et nette, satisfaisante. Il écrit plusieurs scènes mémorables, divertissantes et inattendues. Le lecteur retrouve ce mélange d'action, d'horreur, de crime, et de séduction. Brubaker continue de jouer un peu avec le type de narration, en particulier pour le début du dernier chapitre qui se présente sous la forme d'un conte avec un hibou blanc et des dragons.


Le lecteur retrouve également les dessins faussement esquissés de Sean Phillips, en fait des compositions savantes réalisées avec un coup de crayon donnant une sensation de spontanéité. Phillips a lui aussi l'occasion de jouer avec la forme, qu'il s'agisse de quelques pages avec des cases de la hauteur de la page, ou en forme de parallélogramme. Il illustre le conte, avec des dessins évoquant vaguement des vitraux. Il joue également avec la couleur, pour 2 ou 3 cases dans lesquelles les couleurs sont pixellisées (avec l'aide d'Elizabeth Breitweiser). À chaque fois ce changement d'apparence participe à la narration pour accompagner ou montrer un changement d'environnement. Il insère également un ou deux clins d'œil visuels, telle Josephine se tenant sur le rebord d'une fenêtre pour sa septième tentative de suicide (évoquant Harold Lloyd).


À nouveau la composante sexuelle est présente de manière naturelle dans le récit, que ce soient les relations de Josephine avec quelques partenaires, ou même une partie fine. Ed Brubaker intègre des nuances dans ces relations : le plaisir dépourvu de culpabilité du tome précédent a disparu, laissant la place à des relations plus calculées. Sean Phillips alterne le mode de représentation en fonction des scènes. Josephine apparaît nue à plusieurs reprises (et représentée de face), mais avec un érotisme moindre que dans le tome précédent. Pour une raison indiscernable, Phillips choisit de masquer les tétons et les poils pubiens des autres femmes dans la scène d'orgie de l'épisode 21. Ce choix déroute dans la mesure où il ne semble pas imposé par la nature de la séquence, et où il ne fait pas sens par rapport à la nudité entière de Josephine dans d'autres scènes.


La lecture du premier tome laissait supposer qu'Ed Brubaker et Sean Phillips allaient se contenter de rendre hommage aux monstres lovecraftiens et aux femmes fatales, dans un récit sophistiqué, maîtrisant les conventions narratives de ces 2 genres, avec une maestria impressionnante. La presse spécialisée comics s'est faite écho de la décision de Brubaker d'étendre son histoire au-delà de la dizaine d'épisodes prévus initialement. Cette extension a permis aux 2 créateurs de développer le personnage de Josephine et les conséquences de sa condition de femme fatale, bien au-delà des conventions du genre pour explorer une composante de la condition féminine complexe, devoir vivre avec la pression d'être d'une conquête sexuelle potentielle. Ils ont exploré cet axe avec sensibilité, allant jusqu'à des extrémités terrifiantes (le traumatisme de l'enfant soumis à la séduction irrépressible de Jo).


Cette dissection de la pression de la séduction physique devient tellement prégnante et perspicace qu'elle finit par prendre le pas sur l'intérêt de l'intrigue. Du coup, ce dernier tome peut paraître légèrement plus fade au regard des 3 précédents.

Presence
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le 19 janv. 2020

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