Un projet français qui malgré ses défauts me tient à coeur !

Il est rare que j'accorde à une oeuvre la note assez basse selon mes critères de 6/10 et que je lui assigne malgré tout la mention coup de coeur. Il me faut donc l'expliquer.


Notre beau pays gaulois a toujours mais surtout depuis quelques siècles une véritable difficulté à se créer une mythologie propre. Ne pouvant comme nous se reposer sur la mythologie gréco-romaine de par sa nature bâtarde, les Etats-Unis ont finalement crée leur propre mythologie via l'univers des comics. Un élément essentiel permettant de faire vivre au quotidien et à chacun d'assimiler les valeurs de son pays. Attention, je ne fais pas l'éloge des valeurs positives américaines qu'elles soient morales ou philosophiques. Je regrette simplement qu'un pays comme le notre en décadence ne sache se créer réellement un univers traversant les générations mais surtout inspirant de l'espoir quant au futur, quant à notre possibilité d'exister encore. Notre absence de mythologie est aujourd'hui symptomatique de notre incapacité à croire en l'homme et en notre société, à réenchanter notre quotidien.
Qu'est-ce qui différencie réellement un ensemble de mythes disparates d'une réelle mythologie ? D'un point de vue purement purement diégétique (formel), c'est l'implication des différents mythes, récits, dans un même univers fictif. Posant de plus l'antiquité des problèmes de cohérences, d'où la multitudes des versions des origines de chaque dieu rentrant parfois en contradiction comme l'existence d'Athéna et d'Héphaistos. (le second devant sa procréation à l'existence de la première, et la première ne pouvant exister sans l'existence du premier) L'idée principale nécessaire est celle d'un univers commun, bien qu'il puisse être mouvant, passé, incohérent... La France a crée ses propres mythes avec succès, la bête du Gévaudan, Roland, Renard, la légende arthurienne, Cyrano de Bergerac ou Dom Juan, certes à l'origine espagnole mais que le pays de Molière s'est davantage et réellement approprié. Mais jamais il nous est venu à l'idée avec le temps, avec le recul d'y associer une mythologie. Etait-ce impossible ? Les américains nous ont prouvé que non à l'aide d'une série de comics récente : Fables. (mais aussi la série Once upon a Time) Nos contes de fées si codifiés, au cadre-spatio temporel indéterminé, se prête particulièrement à cette création mythologique. Certes la série de comics rassemble des contes de toute l'Europe. Premièrement, ce n'était pas forcément nécessaire, nous avons suffisamment de contes et de fables françaises pour nous créer un univers riche et vaste. Deuxièmement, pourquoi pas une mythologie européenne plutôt que proprement française. Pour comprendre cette impuissance française, il faut en venir à une deuxième caractéristique, cette fois sémantique et idéologique des mythologies. Par définition, une mythologie est liée à une civilisation particulière dont elle transmet les valeurs. Et nous refusons souvent de l'admettre mais nous sommes dans l'impossibilité de définir clairement et de manière solide notre propre identité. Depuis la révolution française, l'identité que nous nous sommes créer est purement idéologique. Une identité culturelle est toujours partiellement idéologique, mais pour qu'elle reste solide, elle doit rester profondément ancrée dans son l'Histoire. La révolution française et le XIXème siècle ont complètement coupé la France de ses racines, en se recréant une propre histoire, une vision fantasmée de son passé hors du réel. Paradoxalement, le nationalisme qui en a découlé a affaibli le patriotisme, a perverti tout notion d'appartenance à une histoire, à une culture, rendant d'ailleurs encore aujourd'hui souvent dangereux toute réflexion sur l'identité culturelle. La culture du pays fut logiquement et pendant longtemps le fruit d'une minorité cultivée qui se propageait par l'image à toutes les couches de la société. Cette minorité pouvait assez aisément être instruite des bases mythologiques antiques. Alors qu'aujourd'hui la culture est le fruit de masses bien plus imposantes, il devient impossible de la transmettre de manière efficace. La religion commune aida aussi longuement à perpétuer un univers commun, qu'on peut qualifier d'un point de vue civilisationnel de mythique. Nulle mythologie commune alors et finalement des valeurs républicaines, universelles, purement idéalistes, purement abstraites, que nous bricolons peu à peu pour essayer de les faire concorder à la réalité. D'un point de vue purement narratif, quelles conséquences ? Et bien, la difficulté à présenter notre univers quotidien sous un air enchanteur, optimiste, et cet univers comprend notre lieu de vie mais aussi nos voisins. Une haine farouche du héros, ou du moins une incapacité à créer des héros. Le succès des films de super-héros, des films d'action des années 90, dans nos propres contrées montrent bien que perdure pourtant ce besoin en nous. Mais de nos propres créations, nul héros, nul personnage admirable. Attention là encore, je ne parle pas forcément du fait de créer des héros manichéens, des anti-héros restent encore des héros qu'on admire pour certaines raisons. Mais depuis Racine (je schématise et Cyrano est une exception qui doit probablement son succès, outre son contexte, à son caractère d'exception, expression inévitable d'un besoin naturel réprimé), il semble évident qu'il nous est laborieux de nous inventer des héros qui nous sont propres et qu'on peut admirer. Société à ce point décadente, qu'elle préfère admirer ceux du colosse d'outre atlantique que les siens.


Si l'on peut déplorer cet état de fait et finalement s'en remettre au destin naturelle de toute civilisation : mourir , on peut aussi vivre encore avec assez d'énergie pour aller de l'avant. Après une introduction, probablement la partie la plus longue de cette critique, parlons enfin de l'oeuvre.
Laurent Lefeuvre aime son pays, et par pays, je n'entends pas forcément cette France théorique, j'entends la terre et les gens qui l'entourent, notamment la ville de Rennes. Il affirme cependant avec justesse vouloir créer un super-héros français avec ce Fox-Boy, une précision importante car certains polémistes pourraient facilement vouloir le réduire à une Bretagne considérée alors comme pays, voire nation, ce qui serait à son propre détriment bien que n'en ont pas conscience ses partisans. Chaque super-héros est profondément lié à son lieu d'origine, que serait Ulysse sans Ithaque, ou plus généralement sans son appartenance à une cité de l'alliance achéenne ? Que serait Batman, sans Gotham, inspirée d'un New-York d'un autre temps, qu'on pourrait assimiler aujourd'hui à une Détroit. Que serait Superman sans métropolis ? Green arrow, sans Starling City ? Le Punisher ou Spider Man sans New York ? Qu'il s'agisse de créer un super-héros ou de dépeindre une ville sous ses traits les plus infâmes, telle une gotham en perdition, il s'agit toujours paradoxalement de réenchanter son lieu ordinaire. Aussi misérable soit Gotham, ou le quartier de Hell's Kitchen, il se remplit d'espoir, d'un futur et de valeurs inspirantes une fois qu'on y intègre un super-héros. L'auteur ici souhaite éclairer sous un nouveau jour, sa propre ville : Rennes. Si l'auteur souhaitait se dégageait de toute polémique bretonne, en parlant de super-héros français et non breton. Je ne pense pas pourtant qu'il soit anodin qu'il soit breton, on remarque en Bretagne et dans quelques villes de province, la résurgence d'un patriotisme qui se distingue de tout nationalisme. Un patriotisme qui réaffirme simplement l'amour de sa terre, de ses bâtiments, de son histoire... (L'auteur a par ailleurs écrit un comic-book en breton) Les auteurs français dont les oeuvres poursuivent finalement un projet relativement similaire comme Jean-Marc Rivière ou Jean-Yves Mitton sont tous des provinciaux et je ne pense pas cela anodin.


Laurent Lefeuvre avouait ne pas toujours se retrouver dans les comics de par l'architecture urbaine proprement américaine qui caractérisent ses villes. Difficile alors de rêver soi-même, d'un monde de super-héros. Et avec son Fox-Boy, il rend honneur à sa ville et il nous montre bien que malgré nos préjugés, notre architecture européenne n'est pas moins propice aux rêves, aux super-héros. C'est l'une des véritables qualités de ce comics. En ancrant son récit dans un univers qu'il connait bien, il inocule à ce comics un véritable sentiment de réalité, au-delà de la ville, on sent y évoluer une population bien réelle et un héros de notre temps de notre société. Ce héros a aussi pour qualité narrative de n'être pas manichéen, super-héros en formation, il est tout autant un sale gamin, qu'un enfant immature comme le sont les enfants. Nulle niaise idéalisation, sous le prétexte de nous présenter un super-héros donc.


Pourtant et c'est là ma première critique, on doit sentir l'évolution du héros vers le super-héros et donc d'un caractère plus admirable, bien qu'il puisse rester tourmenter. Et le héros évolue en effet, on sent bien notamment vers la fin du récit la prise de conscience de celui qui se cache sous le masque de fox-boy. Mais il est resté pour moi un peu trop antipathique, je n'ai pas encore pu me dégager de cette image de sale gosse bobo prétentieux et tête à claque. L'auteur n'en fait pourtant pas des tonnes, mais la réalité de son personnage et de son caractère se fait si fort ressentir, qu'il devient difficile de s'en départir. Je pense qu'il aurait fallu qu'on ressente davantage dans le premier tome les qualités du héros. On les constate, en fin de tome, par quelques unes de ses réflexions, mais aucune scène ne nous les a fait suffisamment ressentir, suffisamment en contraste avec les scènes nous l'ayant fait mépriser de manière assez brillante.


J'en viens tout de même au gros défaut de ce tome selon moi, sa narration laborieuse. Nulle intrigue réellement intéressante ne conduit ce premier tome. Tome des origines et de la formation, nulle intrigue originale, ou vraiment approfondie n'était nécessaire, mais une intrigue solide venant donner corps, ou du moins un squelette à cette narration aurait été un gros avantage.
Les dessins sont très souvent magnifiques, malheureusement la mise en page semble souvent faites d'un point de vue esthétique, au lieu d'être pensée de manière narrative. Probablement une réflexion de mise en page narrative était à l'oeuvre, mais elle s'est faite masquée par ces multiples juxtapositions d'images, comme collées ainsi qu'un patchwork. De la même manière, on retrouve cette manie proprement française de vouloir absolument stylisée la narration, plutôt que de créer une narration efficace, ainsi on multiplie les analepses et prolepses. L'auteur réussit certes à ne pas être confus, mais ses retours en arrières et anticipations (pour utiliser des termes moins techniques) n'apportent finalement rien à l'expérience réelle du lecteur, pire elle pousse simplement à se détacher davantage de l'intrigue pourtant déjà par trop minimaliste de ce tome. Si maintes qualités évidentes sautent aux yeux, j'ai eu l'impression que l'auteur ne maitrisait pas réellement l'art narratif propre à la bande-dessiné et plus encore en comics. La narration "traditionnelle" franco-belge purement chronologique est facilement assimilable, alors que celle des comics ou manga est bien plus particulière, assumant fortement les particularités de son média.
Je crois tout de même que ce qui fut le plus agaçant lors de cette lecture et cette sempiternelle voix off qui venait finalement servir de narration face à la mise en page défaillante. Que cette voix soit celle du personnage le plus souvent, ou d'un narrateur extérieur objectif, elle fut toujours agaçante ; par son côté trop informatif ou par le manque de maturité et donc d'intérêt du personnage venant logiquement teindre cette voix. Les dialogues aussi ne sont pas assez percutants. Ils sont loin d'être mauvais en soi, ils sont en tout honnêteté travaillés et livrent des subtilités intéressantes, contribuant souvent à cette impression de réalité humaine parcourant l'ouvrage. Mais dans une bande-dessiné, la mise en page et surtout les dialogues doivent la plupart du temps avoir une portée narrative efficace. Et là encore, les dialogues semblent oublier d'assimiler en partie cette fonction et rejoignent en partie le défaut principal de ce premier tome.


Il va me falloir conclure malgré tout. Ce premier tome de Fox Boy a de nombreuses qualités tant graphiques, que dans la réalité qu'il fait passer à travers sa présentation de la ville de Rennes et de ses personnage et notamment de son personnage principal mais il souffre d'une narration défaillante rendant régulièrement la lecture laborieuse nous faisant même parfois oublier ses qualités. Pour autant, on ressent clairement déjà l'ambition de cette série, son projet profondément louable, qui mérite d'être suivi et plus que suivi soutenu ! Je vous invite vraiment à soutenir ce genre d'initiatives, et pourtant, je ne suis pas un ardent défenseur de la bande-dessiné franco-belge, principalement lecteur de comics et de manga. Mais il y a ici un véritable beau projet, un projet profondément humain et l'oeuvre finale n'a peut-être pas encore trouvé toutes ses marques mais nous montrent tout de même de manière assez évidente ses qualités propres. Je pense qu'un travail en duo, et notamment un collaborateur pouvait travailler de son côté le story board à partir d'un scénario assez large permettrait à l'artiste de pouvoir instiller à cette bande-dessiné toutes les qualités qu'il sait y mettre sans nuire à la narration. Le fait est que même si cela n'arrivera pas, je suis impatient de lire le tome 2. A l'évidence, il introduira cette fois une intrigue aux enjeux plus importants, une intrigue qui se révélera moins secondaire et donc permettra à l'artiste de se concentrer davantage sur une narration claire et efficace.


PS : Allez-y, dépensez votre argent ! L'industrie française plus encore que dans d'autres pays ne rémunère que très peu les auteurs de bande-dessiné, et l'auteur mérite bien qu'on le soutienne là !

Vyty
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le 21 avr. 2015

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Vy Ty

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