Nikita Mandryka est mort le 13 juin 2021. Même si son nom est assez peu connu du grand public, il a été un acteur important de la bande-dessinée en France dans la deuxième moitié du XXème siècle. Il est notamment connu pour avoir quitté la porte du journal Pilote avec Gotlib et Claire Brétecher pour créer L’Echo des Savanes, qui sera l’un des fers de lance d’une BD plus audacieuse et détachée des « petits mickeys ». Il a reçu deux prix au festival d’Angoulême qui prouvent son importance.

Parmi ses autres faits de gloire, son personnage du Concombre masqué est un électron libre du 9ième art, né dans les pages de Vaillant (avant que la revue ne se renomme Pif Gadget) puis passé chez Pilote et encore chez Spirou, avant que Mandryka ne poursuive ses aventures sur un site internet. Suivre ses éditions et réeditions en albums au fil des différents éditeurs est une gageure réservée à ses plus grands fans, d’autant que les tirages ont parfois été faibles, le légume s’est assez mal vendu.

Car ce concombre masqué ne se laisse pas si facilement approcher, Mandryka s’amusant avec son personnage, un peu râleur, un peu philosophe, emmené dans des aventures oniriques et absurdes. Le lecteur est emporté au fil des pages sans être certain d’arriver à bon port. Pas d’inquiétudes, cela sera le cas, généralement.

Difficile donc de le ranger dans des cases, pour un public jeunesse ou un public adulte. Mandryka a ce trait un peu enfantin, sans aucune recherche de réalisme, bien au contraire, il recherche un certain onirisme qui se traduit par un univers aux riches idées. Mais le texte risque de passer au dessus de certaines têtes blondes. C’est bavard, mais c’est riche en trouvailles, de jeux de mots, de mots inventés ou rafistolés, de termes anglais repris et déformés. Gare à ne pas « bourschlaguer les oreilles d[‘] éructations barigoulaires » du concombre au réveil.

Nos charmants enfants pourront s’amuser de ces facéties de langage. Mais dans le cadre de ces deux albums, ils passeront à côté du trou de la Sécurité sociale, matérialisé par un gouffre sans fond dans l’estomac d’un dragon que des calculs biliaires vivants tentent de boucher en se sacrifiant en se transformant en diamants. Oui, c’est aussi ça du Mandryka.

L’argument de La Dimension poznave qui couvre deux tomes n’est d’ailleurs pas si facile à appréhender même pour un grand adulte. Puisqu’il est question de la cosmogonie de cet univers, sur la base de ce sophisme « tout ce qui existe est concevable donc tout ce qui est concevable existe ». Prononcé par deux savants, Albert Pozne et Jean-Paul Suave, ils en viennent à penser que s’ils imaginent un concombre masqué alors c’est qu’il existe. Leur annonce à la télévision ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, puisque justement le concombre masqué est devant le poste, bien content de découvrir qu’il existe. Mais puisque l’hypothèse doit être vérifié il faut qu’ils découvrent ce légume.

Ce pourrait être simple, et cela ne le sera pas. Car Mandryka avec sa fantaisie et sa facétie habituelle utilise plusieurs niveaux de réalité, de dimensions, et plusieurs personnages aux histoires parfois entremêlées. Le concombre masqué n’a d’ailleurs pas le plus grand temps de présence dans le premier tome, de quoi décontenancer bien des lecteurs. Son reflet, qui existe dans sa propre dimension, est peut-être même plus présent dans ce premier tome car oui, son double dans le miroir a aussi sa propre vie, et lui aussi veut se faire découvrir. Il sera pourtant quasiment absent du deuxième tome, tandis que c’est le soleil qui ouvrira le bal, à la recherche de son plan de vol. Oui, c’est aussi ça aussi du Mandryka.

Imaginatif au point d’être décontenançant, tels sont des qualificatifs habituellement exprimés pour le légume masqué. Cette Dimension poznave ne jure pas dans le catalogue des histoires du légume masqué. Sans que le dessin ne soit particulièrement remarquable, c’est bien son histoire fofolle et ses milles idées qui impressionnent, dans un univers onirique et farfelu qui fait régulièrement sourire. Certains resteront sur le carreau, tant pis, Mandryka faisait ce qu’il voulait.

SimplySmackkk
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le 12 sept. 2022

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