La fabrique des corps
7.1
La fabrique des corps

BD (divers) de Heloise Chochois (2017)

Réparer et augmenter les vivants ?

Si les prothèses peuplent notre quotidien mais aussi le cinéma, la bande dessinée (pensez à quelques Méta-Barons), les mangas (Berserk, FullMetal Alchemist, Levius, Die Wergelder...) on ne peut pas affirmer que chacun ait une connaissance fine des univers de l'amputation et des prothèses. La fabrique des corps est faite pour nous !


Une histoire de membre(s)


Á travers quatre chapitres, Héloïse Chochois suit une démarche logique – symbolisée au début de chaque chapitre par l'ajout d'un étage à la "maison" où se trouve le personnage principal : évoquer la perte du membre (et expliquer comment on fait pour amputer proprement) et la douleur fantôme puis envisager la question des prothèses et terminer par des questions prospectives (le transhumanisme) qui rappelleront des souvenirs aux lecteurs de SF.


Du côté de la narration retenue, le choix est efficace et a fait ses preuves : le personnage principal est victime d'un accident. Amputé au-dessus du coude, sans connaissance préalable sur sa nouvelle condition il va découvrir en même temps que nous ce que son interlocuteur va lui apprendre. Un interlocuteur un peu spécial : Ambroise Paré avec mises à jour pour être informé de tout ce qui s'est passé après sa mort (en 1590). De quoi donner naissance à un dialogue où Ambroise Paré est celui qui parle le plus mais qui ne se transforme jamais en un cours de science ennuyeux. Bien au contraire.


Ce n'était pas mieux avant


D'abord grâce à la perspective historique adoptée. Héloïse Chochois resitue les pratiques actuelles – l'amputation comme les prothèses – par rapport à ce qui se pratiquait avant. Des évolutions se repèrent : la manière d'amputer au Moyen-Âge, par exemple, ne semble pas très efficace pour assurer la survie des patients (couper puis ébouillanter à l'huile le membre coupé avant de lui appliquer un morceau de fer rougi). Les guerres jouent un rôle important dans les progrès réalisés : il faut amputer proprement les soldats si on veut qu'ils survivent et leur fabriquer des prothèses pour qu'ils puissent par la suite mener une existence convenable. Une thématique qui se prolonge encore de nos jours...


Outre le détour par l'histoire, la mise en forme retenue est à noter, pour plusieurs points. D'abord par l'alternance entre les séquences muettes et celles parlées. En dehors des échanges entre le personnage principal et Ambroise Paré, le reste se déroule sans mot. Les images parlent d'elles-mêmes ce qui permet de ne pas faire que lire des bulles mais aussi de lire des images. Une manière de respirer que l'on retrouve à d'autres endroits du livre, que ce soit dans les interludes proposés, quelques digressions et clins d'œil dans le dessin ou les paroles des personnages à certains auteurs, comics, manga...


Ensuite, ce qui m'a le plus intéressé tient à la fois à la présentation des tendances récentes, notamment la réinnervation sélective (pour une meilleure commande des prothèses) ou encore les initiatives développées pour rendre les prothèses accessibles à chacun et à meilleur coût : l'évocation des Fab Lab (notamment My Human Kit) et des imprimantes 3D pour réaliser des prothèses coûtant 200 euros en plus d'apprendre aux humains à réparer par eux-mêmes leur prothèse.


Répartition


Il faut aussi évoquer un élément qui renforce le réalisme de l'ouvrage : ce dernier ne se résume pas à nous transmettre un savoir, il permet aussi d'aborder – même si ce n'est pas le cœur du sujet – la condition de personne amputée. Le personnage principal met en effet du temps à (s')accepter. On voit assez facilement les coûts psychologiques subis, la question du regard des autres et de son propre regard sur ce qui a été perdu et les efforts à entreprendre pour retrouver des habitudes, des gestes... Pour schématiser, on peut dire que Ambroise Paré occupe le versant scientifique et technique et le personnage principal le psychologique.


S'il fallait évoquer un point un peu moins bien réussi que les autres, il concernerait certains enchaînements de dialogues qui ne sont pas toujours parfaits. C'est surtout le cas dans le dernier chapitre où les transitions manquent et on a l'impression d'avoir des propos plaqués là et qui suscitent des réponses déjà entendues un peu plus tôt dans l'échange. Rien de trop grave donc.


L'avenir de l'Homme s'écrit-il avec une main mécanique ?


Avec un rendu simple et clair, des explications qui ne perdent pas le lecteur, La fabrique des corps transmet des savoirs sous une forme certes simplifiée mais qui ne sacrifie pas l'exactitude. Héloïse Chochois aborde de nombreux sujets avec la volonté de ne pas donner une vision idéalisée (la question de l'accès aux prothèses, des coûts...), un élément que l'on retrouve quand vient le moment de parler du transhumanisme, ses promesses et ses menaces potentielles... Voilà donc une lecture instructive en attendant le prochain volume de la collection Ocotpus qui parlera... de sexe.


Avis un peu plus développé à retrouver ici.

Anvil
7
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le 4 juil. 2017

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Anvil

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