Une coquetterie d’éditeur n’a pas permis à R.L. Stevenson de nommer son Île au Trésor comme il l’entendait ; "Le Maître-Coq", du poste qu’occupe Long John Silver à bord de l’Hispaniola avant la mutinerie qui le révèle chef des pirates.

Pas de semblable coquetterie chez Dargaud, qui a perçu le potentiel du personnage. Quand Xavier Dorison et Mathieu Lauffray choisissent sobrement d’intituler leur bande-dessinée Long John Silver, nul ne vient les contredire. Mais entre temps, le héros est devenu un fantasme, une icône, un mythe.

Un retour aux sources

L’homme évoque l’aventure, l’exotisme ; il est l’archétype du pirate, trublion et criminel, menteur mais fidèle à son propre code d’honneur. Une mine d’or pour les deux comparses, qui sonne le point de départ d’une réhabilitation du récit de piraterie. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre ne s’en cache ; il y a, là, volonté de rendre hommage, de revenir aux fondamentaux, sans à aucun moment tomber dans le pastiche ou la parodie. Ils raniment Long John Silver, et lui offrent un cadre dans lequel s’épanouir. Il ne s’agit pas pour autant d’une réécriture, ni même d’une suite. La série doit vivre d’elle-même et se détacher du prédécesseur.

Le premier tome, Lady Vivian, ne désavoue aucunement les tenants du projet en imaginant une intrigue et des personnages qui n’ont plus rien à voir avec l‘Île au Trésor. D’ailleurs, il n’est plus question d’île, mais d’un temple perdu au milieu de la forêt amazonienne. Hommage ne signifie pas réécriture, au contraire : hommage veut dire conserver l’esprit, l’essence de l’original pour créer un univers à part entière. Dorison et Lauffray s’inscrivent dans un renouvellement, et le retour aux sources permet simplement à leur récit de s’élever au-dessus d’une nasse qui a perdu de vue ce qu’un récit d’aventure, et plus précisément un récit de pirate, représente : l’histoire de renégats, d’anarchistes avant l’heure, en quête de trésors légendaires ; l’histoire d’individus qui refusent le monde tel qu’il est, la conformité des mœurs, et de mourir sans avoir vécu.

Place au récit

Les collaborateurs renvoie le récit au cœur de leur travail. L’objectif n’est pas de placarder et d’amonceler les clichés, mais bien de bâtir un univers auquel le lecteur peut croire. Ils multiplient les micro-intrigues, ouvrent des portes, mettent en scène.

Certes, l’action met du temps à s’enclencher, et seules de rares images laissent deviner une contrée du bout du monde avant d’embrayer sur l’hiver et l’Angleterre et une femme aux abois, Lady Vivian. Quid du pirate à jambe de bois ? Il ne survient qu’à la page 28 comme un diable à ressort jaillit de sa boîte, soulageant le lecteur de son attente fiévreuse. Le héros tant attendu se dévoile pour la première fois au milieu des flammes, dans une contre-plongée qui n’a rien à envier au cinéma. Son œil pétille, son rictus nargue et défie. Il répond aux attentes et semble prévenir qu’il y a en lui plus que ce qu’il paraît. Comme dans cette histoire, qui ne sera pas si simple.

Deux hommes, un bateau

Dorison et Lauffray prennent leur temps, ils installent leur univers, créent une atmosphère où le dessin, tout en ombres et contre-jour, répond aux noirceurs du scénario ; un jeu de pénombre qui n’est pas sans rappeler les ténèbres tapies dans la personnalité de Long John Silver, tantôt terriblement humain, tantôt pirate sanguinaire.

Si les deux hommes refusent d’être crédité du scénario ou du dessin, c’est que chacun a contribué entièrement à toutes les phases de travail. Le résultat bluffe, leur synergie transpire de chaque planche, et contribue à créer un objet qui non, ne ressemble ni à une suite, ni même à une réécriture. C’est un navire unique, un navire qui a démonté les planches de bois de l’Île au Trésor pour se construire, mais qui n’a plus rien de la frégate de Stevenson.
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le 22 août 2013

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Mojo Saurus

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