La présente critique ne porte que sur l'épisode 1 de la série : "Le Sang de la Lune".

"Le Vent des Dieux" est la série qui a prolongé la réputation de Patrick Cothias, initialement connu pour "Masquerouge" et "Les Sept Vies de l'Epervier". Son goût pour la grande histoire se porte ici sur le Japon plus ou moins traditionnel des samouraïs, des daimyôs et des shôguns, à une époque laissée volontairement dans le flou ("Dans un temps très ancien"...). Le série a beaucoup contribué à soutenir l'intérêt pour le "Cool Japan" et ses produits dérivés.

On peut distinguer chez Cothias la dramaturgie, l'adossement historique et les penchants de l'écriture.

Côté dramaturgie, le canevas est celui de l'émergence d'un héros moralement clair et probe (planches 17 et 18) dans le contexte troublé des révoltes et des conflits de personnes de ce Japon assez mal daté. Dès le début, on situe bien les rapports de force entre détenteurs de pouvoir, traîtres en puissance, honnêtes combattants plus ou moins bornés (et bernés). L'âme féminine de la série apparaît assez tôt. L'intérêt dans cet épisode est de voir se profiler, sous le premier degré de la narration (la répression d'une révolte paysanne), une configuration plus louche qui empeste le complot, la trahison et des règlements de comptes à venir. De ce côté-là, l'action captive bien l'attention, et on attend la suite avec impatience. Les personnages sont de tempéraments variés, mais leurs disparités de caractères sont moins marquées lorsqu'on passe aux seconds rôles : des combattants scrupuleux soucieux d'appliquer à leur manière les règles du Bushido (code d'honneur des samouraïs). (Planches 18, 20, 39 à 43).

L'adossement historique est substantiel mais assez lourd. On se trouve sur l'île Sado (au Nord du Japon). Adamov, le dessinateur, est d'un parfait équilibre entre le réalisme des décors et le détail de la restitution des paysages, des édifices, des armures, des armes, des costumes. C'est là du beau travail ! Jusqu'au motifs des bannières que portent les combattants, et dont l'une arbore une Lune, dont parle le titre de cet épisode. De très belles couleurs, et une parfaite lisibilité méritent tous les éloges. Un des aspects intéressants de l'art d'Adamov, c'est de jouer sur la symétrie des attitudes et une certaine exagération des postures ( planche 13 par exemple), bien en harmonie avec l'esbroufe didactique et émotionnelle de Cothias.

Là où cela devient pesant, c'est dans la récitation de phrases de cours magistral (que l'on jurerait tirées d'une encyclopédie - Cothias ne travaillait pas encore du temps de Wikipédia), que profèrent des personnages variés, apparemment pour mettre le lecteur dans le bain de la civilisation japonaise, mais sans trop y croire eux-mêmes. Dès la première planche un vieil homme résume les origines mythologiques du Japon, que tout le monde est censé connaître par coeur chez ses auditeurs, qui ne sont pas nés de la dernière averse. Aussi, comme pour excuser l'inutilité dramaturgique de ces lectures d'Annabac, le daimyô se croit obligé de dire: "Je sais tout cela, mais j'aime l'entendre répéter. Continue donc..."

Planches 2 et 3, c'est un commentaire peu discret sur la réalité des rapports de pouvoir dans le Japon ancien qui nous est infligé. Et, plus loin, on voit arriver diverses dénominations de Bouddha, les coutumes funéraires du Shintô (planche 44)... C'est curieux, mais ces passages "couleur locale" apparaissent malgré tout artificiellement plaqués sur l'intrigue centrale.

Mais l'un des ressorts du succès de Patrick Cothias, c'est l'art avec lequel il se complaît dans les scènes de sexe et de perversion physique ou morale. Dans ce tome 1, on est bien servi ! Le Daimyô, grosse baleine adipeuse et complètement nue ou peu s'en faut, caresse des petites filles vêtues en geishas, et se fait sucer par des petits garçons (planches 37 et 38). Pimiko, l'amante du héros, Tchen Qin, nous offre une belle scène de copulation planches 9 à 11. Les sexes masculins apparaissent ici et là, en érection ou pas. Le harem du daimyô nous présente de nombreuses créatures, de morphologies diverses, mais peu vêtues (planches 16 et 17).

Côté perversion, on remarque le goût prononcé de Cothias pour les maquillages outranciers de personnages masculins (planches 14 et 15), qui théâtralise certes la narration, mais ne manque pas d'orienter le propos vers la bisexualité généralisée. Si le discours favorable à l'homosexualité de la planche 14 apparaît affadi aujourd'hui en raison de la reconnaissance et de la banalisation de cette orientation sexuelle, on ne peut en dire autant de l'apologie de la pédophilie qui l'accompagne.

La cruauté physique et morale apparaît, surtout de la part des traîtres et des détenteurs de pouvoir; dans toute la série "Le Vent des Dieux", on coupe je ne sais combien de têtes (planches 7 et 33). On aura un beau seppuku planches 40 et 41, avec tripes, hémoglobine et tout et tout...

Reflétant les opinions athéistes et rationalistes de Cothias, la plupart de ses personnages affichent une attitude plutôt injurieuse envers la religion (planche 44), et l'on n'est pas sûr que cela soit très vraisemblable dans un contexte historique réel. Le prêtre de service est qualifié de "Vieux Bouc" par tout le monde. Si c'est un titre de respect, il va falloir qu'on m'explique pourquoi. Et les jurons de Kaï font preuve d'une piété bien particulière, polarisée vers l'anus, la verge et les poils des divers Bouddhas... (planches 22 à 24).

Reste le héros, Tchen Qin, qui passe pour mort dès la fin de ce premier épisode. Jeune et vigoureux héros, il est plus fin et moral que ses compagnons de guerre, qui s'en tiennent mécaniquement au respect strict des traditions du Bushido. Son nom (chinois) est assez bizarre pour un héros japonais, d'autant que les deux composantes de son nom ne relève pas du même système transcriptionnel. "Tchen" est une transcription en Wade-Giles ( en pinyin, cela donnerait "Zhen"), tandis que "Qin" est une transcription en pinyin. Je ne sais pas trop à quoi pensait Cothias quand il a donné un nom à son héros...

Par contraste, le massif et brutal Kaï est bien parti pour être le pendant comique du héros (planche 32).

Un très bon début de série donc, mais dont les procédés racoleurs pèsent parfois quelque peu.
khorsabad
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le 27 mars 2013

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khorsabad

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