Avec "le Secret de la Licorne" commence le temps des chefs d’œuvre. On connaît le contexte : la Belgique occupée, Hergé qui se concentre sur son travail, tout en évitant tout ce qui pourrait fâcher les autorités, et qui progresse à une vitesse confondante vers la maîtrise, tant de son dessin qui atteint une éblouissante maturité, que de la narration, ici pour la première fois irréprochable. Premier album dans lequel Tintin ne voyage pas hors de Belgique, premier récit policier à l'intrigue finalement assez complexe - plusieurs sujets se superposant, entre la recherche des origines du Capitaine Haddock, la poursuite du pickpocket diabolique, le mystère des maquettes de la "Licorne" -, et surtout premier pas vers l'élargissement de l'univers du jeune Tintin, ex-globe trotter solitaire passablement hystérique, qui va désormais adopter / être adopté par une bande de personnages, bande au sein de laquelle sa personnalité définitive se formera. Mais quand on a dit tout cela, qui est bien connu, on n'a rien dit sur ce livre stupéfiant, cette pilule de plaisir concentré, cette merveille de rythme et d'humour qu'est "le Secret de la Licorne" : les mystères, les rebondissements, les bagarres, les chocs et les coups - on est toujours à la frontière du burlesque chez Tintin - s'enchaînent à toute allure. Haddock n'arrive plus à porter un verre à ses lèvres, tant la volonté de l'auteur s'oppose maintenant à ce que son alcoolisme brutal le consume, il lui faut s'élever lui aussi vers son destin de héros, même paradoxal : l’extraordinaire, le visionnaire flashback central, qui dédouble le combat entre Haddoque et Rackham le Rouge par une scène de destruction domestique, est la marque indiscutable du génie de Hergé, et c'est au Capitaine Haddock qu'il doit d'être aussi inoubliable, aussi parfaitement cinématographique, aussi profondément troublant. "Tintin" quitte ici le domaine innocent des "petits mickeys" pour enfants, et devient une œuvre adulte, dont on va pouvoir, des décennies durant, analyser les motifs sous tous les angles possibles, et bien entendu - c'est malheureusement inévitable - avant tout psychanalytiques. Lisez, relisez mille fois chaque page du "Secret de la Licorne", vous ne pourrez qu'être ébloui par la perfection de la composition, des mouvements, du récit. Déjà, en 1942, au delà du petit monde de l'édition bruxelloise, malgré la Guerre, malgré les pénuries, la rumeur enfle, les ventes des albums s’accélèrent : quelque chose de monstrueux est en train de se passer autour de Tintin. Et ce n'est que le début. [Critique écrite en 2017]

EricDebarnot
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le 26 févr. 2017

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Eric BBYoda

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