Le fuzhi - Extrème-Orient, tome 1 par Sejy
1967. La Chine, à l'apogée de la fièvre communiste. Exilé dans un camp de «rééducation», contrecoup d'un itinéraire personnel controversé, Li Fuzhi, insurgé prolétarien de la première heure, se souvient...
Des fragments de quarante ans d'une vie, réminiscences d'un (anti)héros, pièce plus ou moins volontaire d'une insurrection en marche, et qui ouvrent une fenêtre sur le passé effrayant d'une grande nation asiatique, sur le douloureux destin de son peuple.
Extrême-Orient ne possède ni vertus didactiques ni ambitions pédagogiques. Le contexte est livré quasi brut et ne s'appréhende que par bribes, dans une multiplicité d'ellipses. Sans références extérieures, il est quelquefois difficile de bien saisir les différents éléments et événements historiques. Pourtant, cela ne nuit pas au récit, lui évitant même quelques lourdeurs inutiles. Mieux, ce pseudo hermétisme restitue efficacement une sensation d'impuissance et d'embrigadement dans un irrésistible tourbillon, dans une marche en avant inéluctable de l'Histoire. Un théâtre cruel et grandiose où évoluent des acteurs anonymes écrasés par leur condition humaine.
Le style très beau et très personnel de F. Bourgeron accentue cette impression. Le fond nous raconte une révolution à l'échelle d'un pays, son graphisme nous la montre à l'échelle des hommes. De grandes cases aux couleurs souvent sombres et des hachures qui renforcent un côté froid, désespéré. Une ligne alerte, très caricaturale qui, si elle permet d'identifier les personnages, en annihile les expressions. Un miroir dévoilant, sans ambages, l'image de l'individu qui perd ses désirs et ses illusions, qui s'évanouit dans la masse résignée et dont la souffrance ininterrompue doit rester muette, balayée par le raz de marée d'une idéologie.
J'ai adoré le premier tome. Un poil plus modéré pour le second. Trop teinté d'onirisme à mon goût, il introduit une très légère note d'optimisme dans l'atmosphère noire de l'œuvre. Cela parasite un peu le «trip» que j'aurais préféré glauque d'un bout à l'autre du diptyque. Quoiqu'à bien y réfléchir, cela fournit peut-être un contre-pied qui en révèle encore mieux le désenchantement.
Superbement déprimant.