Le sujet de la bande dessinée n’est pas tant Choc que le problème de la filiation.

Par Nicolas Tellop

Sur le papier, la reprise du personnage de Choc laissait présager une fausse bonne idée. Monsieur Choc, « Chevalier maléfique » de la bande dessinée franco-belge, et éternel ennemi intime de Tif et Tondu, possède un pouvoir de fascination inaltérable. Méchant de grande classe, aussi esthète que cruel, son aura va jusqu’à rayonner outre-Atlantique où, à la fin des années 90, Gary Gianni s’était plus ou moins explicitement inspiré de lui pour créer Benedict, le héros des Monstermen. On ne peut donc de ce point de vue que se réjouir de retrouver le personnage dans de nouvelles aventures machiavéliques, le rôle-titre en prime. Mais le pitch des Fantômes de Knightgrave annonce le pire : il s’agit ici de révéler l’identité de Choc, d’escamoter la surface impénétrable de son heaume pour lui substituer les traits d’un visage forcément décevant, de lever le masque et ainsi de dissiper toute la profondeur insondable entretenue depuis la création du personnage, en 1955.

Les premières planches de l’album semblent confirmer ces craintes : au milieu des années 50, le personnage revient sur ses origines alors qu’il acquiert un vieux château abandonné. Au fil de ses déambulations, des flashs révèlent de furtifs épisodes de sa jeunesse. Ce n’est plus alors seulement la démythification qui est à redouter, mais ce genre de niaiseries psychologisantes auxquelles certains auteurs se croient obligés de céder pour donner plus d’épaisseur à leur personnage. Traumatismes de l’enfance, poids du malheur et béance de la fêlure : l’inexorable destin préfabriqué des fictions réchauffées. Et puis, il se passe quelque chose. L’histoire prend peu à peu, au rythme de flashbacks défiant la linéarité narrative, où s’entremêlent et se télescopent des récits enchâssés répartis sur les cinq premières décennies du XXe siècle. L’ambiguïté des péripéties intrigue, la subtilité des enchaînements séduit, le mouvement lancinant de la narration emporte le lecteur au grès des échos qui font se répondre passé et présent. Les fantômes de l’amour valsent avec ceux de l’horreur, et l’abjection tournoie au bras de la mélancolie. Même les images qui paraissaient au début de l’album si dérangeantes de naïveté finissent par glisser dans un saisissant cauchemar surréaliste.

L’instabilité bégayante du récit, toujours dans un entre-deux, n’est pas étrangère à l’addiction de Choc pour la morphine, comme si le parti-pris de narration avait pour but de rendre compte d’un état second, flottant et dérangé. Le motif de la pie en est révélateur. L’oiseau revient continuellement dans l’histoire, obsession accablante rappelant le corbeau d’Edgar Allan Poe. Dans la tradition populaire, la pie est un symbole de mauvais augure, et c’est bien pour cela qu’elle manifeste avec insistance sa présence auprès de Choc. Avec son plumage noir taché de blanc (à moins que ce ne soit l’inverse), qui rappelle l’habit en « queue de pie » de Choc, elle se fait porteuse d’ambivalence, étendard d’un album où les repères moraux ne cessent de s’intervertir. Les vicissitudes de son existence favorisent une certaine empathie pour le personnage, mais les exactions dont il est responsable trahissent toute son inhumanité. (...)

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Chro
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le 19 mai 2014

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